Rappelons-nous cet adage : « Dis-moi qui sont tes ennemis et je te dirai qui tu es ».


Et si les mutualistes entraient en guerre contre l’intrusion d’Amazon dans la santé ? Ne pourraient-ils pas y retrouver leur âme ?


Pour la démonstration, partons du début d’un article du Monde sous la plume d’Alexandre Piquard, en date du 12 février 2020.


« Le champion mondial de l’e-commerce a entamé une offensive dans la sphère médicale. Moins visible que celle de Google, sa stratégie, globale, inclut télémédecine, pharmacie et assurance.
Imaginons une Américaine nommée Jenna Miller. Après une journée passée le nez pris, elle décide dans la soirée de se soigner. Elle ouvre sur son téléphone l’application Amazon Care et clique sur « discussion en ligne avec une infirmière ». De l’autre côté de l’écran, la soignante est assistée par Health Navigator, un logiciel d’aide au diagnostic et à l’orientation des patients grâce à l’intelligence artificielle. L’infirmière conclut à une sinusite et conseille à Mme Miller de voir un médecin dans les vingt-quatre heures. Le lendemain matin, la malade opte pour une « consultation vidéo », toujours par l’intermédiaire d’Amazon Care.
A distance, le médecin prescrit un antibiotique et un traitement d’accompagnement. L’échange oral est retranscrit à l’écrit par le logiciel de reconnaissance vocale Transcribe. Puis inscrit dans le dossier de la patiente, stocké en ligne par l’hébergeur AWS.
Le soir, Mme Miller reçoit chez elle ses médicaments, livrés par la société Pillpack. Le lendemain matin, sur l’enceinte connectée Echo de sa cuisine, l’assistant vocal Alexa lui rappelle de prendre ses pilules. Le coût des soins est, lui, pris en charge par Haven, l’assureur-santé de l’employeur de Jenna Miller.
Le point commun entre les services mentionnés dans cette fiction est qu’ils appartiennent tous à Amazon. Le champion de l’e-commerce est pourtant plus connu pour la vente de livres, de vêtements ou d’appareils électroniques que comme un acteur de la santé. Après avoir révolutionné le commerce, l’entreprise de Jeff Bezos pourrait-elle bousculer notre accès aux soins médicaux ? »


Et maintenant, quel serait le contre-modèle « mutualiste » ? Et qu’apporterait-il de plus ?
Imaginons Geneviève Destrac, 70 ans, peu familière des réseaux sociaux, habitante d’une zone de désert médical.
Son nez est pris et le mal de tête gagne. Au commerce multifonction, elle croise, Andréa, l’infirmière du village et répond à son salut par un : « Ca va pas fort. » Après un bref échange et au vu de la mine de Geneviève, Andréa soupçonne plus qu’un simple rhume. Membre de la CPTS locale et partie prenante d’un réseau social de patients du territoire, elle décrit (ce que Geneviève qui n’a pas les mots pour cela n’aurait pas su faire) les symptômes. Les deux communautés – patients et professionnels de santé – échangent sur le forum créé par la mutuelle locale. D’autres personnes ont eu les mêmes symptômes au même moment. Un pré diagnostic est partagé : Geneviève doit souffrir d’une allergie – sévère dans son cas – au pollen de bouleaux nombreux sur le territoire. Un des médecins de la CPTS prend le dossier en mains : il fixe un rendez-vous physique en urgence à Geneviève et, une fois l’examen réalisé, dialogue avec l’allergologue du CHU régional, correspondant de la CPTS, qui confirme l’allergie. Le traitement de Geneviève est prescrit en conséquence.
La communauté de patients et les membres de la CPTS (pharmaciens notamment) relaient l’information ; la mutuelle mobilise ses bénévoles. L’objectif est d’aller au-devant des populations les plus exposées à des complications sévères et de les inciter à consulter soit physiquement, soit via le système de téléconsultation proposé par la mutuelle et dont les médecins consultants ont été informés de la situation. La mairie est sollicitée pour organiser une réunion d’information sur l’urgence et travailler avec la mutuelle, les membres de la CPTS, et la communauté de patients sur des actions de prévention destinées à éviter qu’au printemps suivant le phénomène ne se reproduise. Sur son fond social, la mutuelle débloque des fonds pour supporter ces actions et engage une action de fond de désensibilisation allergénique auprès de ses adhérents et, au-delà, saisit les autres mutuelles implantées pour qu’elles engagent les mêmes actions.
A cette occasion, le projet d’une base de données des facteurs de risques locaux, porté par la CPTS et la mutuelle, se débloque. Les réticences des usagers et des élus des collectivités en matière de protection des données sont réévaluées à l’aune de cette expérience. La direction départementale de Santé au travail se joint au projet avec l’accord du patronat local. Les syndicats agricoles emboîtent le pas.


Est-il nécessaire d’en dire plus pour montrer en quoi une vision individualiste et consumériste de l’accès à des prestations médicales s’oppose frontalement à une vision solidaire de santé individuelle, collective ?

Par Christian Oyarbide.

Histoire N° 2 : La santé au travail

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