par Eva Tapiero – Libération – 29 septembre 2023 par Eva Tapiero
Bien être. Une enquête inédite a mis en lumière la nécessité d’une approche globale prenant en compte les critères psychologiques ou sociaux.
Les habitants et habitantes du Pays d’Uzès sont en bonne santé ! C’est la réjouissante conclusion de l’enquête coordonnée entre juin et septembre 2022 par Eloi Laurent et Sophie Marinopoulos. Le premier est économiste et enseignant à Sciences-Po Paris, la seconde est psychologue, psychanalyste et adjointe au maire d’Uzès. S’ils ont croisé leurs regards, c’est pour documenter le territoire sous un angle nouveau : la «pleine santé». Un concept que l’enseignant théorise ainsi : une approche globale prenant en compte les critères physiologiques, psychologiques, sociaux, et écosystémiques. Dans un monde en crise qui impose à chacun de faire évoluer ses conceptions et ses façons d’agir, repenser la santé était une urgence.
«Richesse». A l’issue d’une étude au long cours menée dans la communauté de communes de l’Uzège (et qui fait l’objet d’une restitution à Uzès ce vendredi), 85 % des répondants ont donc déclaré être «à un niveau de bonne santé physique égal à 7 ou plus sur une échelle de 10» et ils sont 80 % à faire le même constat sur le plan psychique. De bons résultats qui ont «surpris»Eloi Laurent. «On a affaire à un territoire qui n’est pas forcément très dynamique ou très riche en termes économiques. Là, on se rend compte de la définition plurielle de la richesse.» Une petite majorité (55 %) a ainsi estimé que leur santé dépendait de celle des autres, tandis que plus de 90 % considéraient qu’elle était liée à leur «environnement naturel».
Pour l’économiste, la qualité de vie est donc loin de se mesurer à l’aune d’un marché du travail dénué de chômeurs. «Je voulais trouver un indicateur plus parlant et plus actualisé que ce plein-emploi sur lequel on continue de fantasmer», explique-t-il. Et de citer ces pays, au premier rang desquels les Etats-Unis, dont le chômage est au plus bas mais où les inégalités explosent. A partir de janvier, cette première étape d’investigation s’est muée en un «forum de la pleine santé», dont la première discussion collective a eu pour thématique : «Comment se protéger ensemble des canicules.» Face à cet enjeu majeur des températures extrêmes, Eloi Laurent s’étonne qu’il n’y ait pas eu d’enquête nationale pour connaître le ressenti de la population. «Il y a un plan canicule construit à l’aveugle sans prendre en considération les gens. Et puis, quand on dit qu’il faut végétaliser les villes, c’est une approche techno. C’est sympa, mais on a besoin de démarches collectives, de parler et débattre.»
Le processus qu’il a coordonné sur plusieurs mois a donc fait émerger des propositions concrètes à mettre en place. Encore faut-il que les élus locaux jouent le jeu et acceptent de les appliquer. Sophie Marinopoulos est confiante. «Dès que l’on parle de canicule, il y a un intérêt et un dialogue. C’est vrai aussi qu’il ne s’agit pas d’un sujet clivant», admet l’adjointe au maire.
«Bien vieillir». Le processus de démocratie participative à l’œuvre pour le forum de la pleine santé a démarré dès l’enquête, avec l’élaboration des questions. «C’est la différence entre travailler sur et avec les territoires», assène Eloi Laurent. Sophie Marinopoulos abonde : «J’aime cette intelligence collective. On réfléchit autrement que par des oppositions.» Une démarche si enthousiasmante qu’ils aimeraient la voir se renouveler ailleurs. Sont-ils déjà exaucés ? A 200 km de là, dans les Alpes-de-Haute-Provence, Lucille Thiebot est cheffe de projet «Territoire de pleine santé» à la communauté de communes de Digne-les-Bains. Cela englobe les thématiques «bien-être, nature, culture, santé et alimentation» avec notamment des initiatives sur le «bien vieillir». Elle se réjouit de l’action menée à Uzès, mais regrette les moyens limités qui freinent la multiplication de telles initiatives. Et ajoute, lucide, qu’il peut être délicat de penser «global», quand un service minimum local n’est pas fourni. «Ici, les habitants ont des difficultés à trouver un médecin traitant, dans ces conditions, ça nous oblige à travailler sur la santé tout court.»
L’étonnant, c’est de faire des grands titres avec des choses qui pourtant paraissent banales : « on a besoin de démarches collectives, de parler et de débattre », « Pleine santé », « ressenti des populations », « santé participative ».
Ben oui, c’est mieux.
Pour aller au plus court, le paradoxe réside dans le fait qu’on ne pourrait pas parler de santé globale lorsque la pénurie d’offre de soins pèse sur les comportements et oblige à se colleter avec cette part du réel qui est la crise de notre système de santé et à laquelle il faut aussi apporter une réponse. On sent bien qu’il n’est plus question de démocratie ou de participation mais d’un retour à l’Etat, sous toutes ses formes.
Des moyens, bien sûr, mais aussi des démarches participatives pour résoudre, justement les problèmes de moyens, attirer les professionnels, optimiser le fonctionnement des structures de santé, en créer de nouvelles, promouvoir les stratégies préventives, base d’une nouvelle économie de la santé.
Travailler sur la santé « tout court », c’est pas mal non plus.