Du « gouvernement à la gouvernance » : un glissement sémantique qui cache hold-up démocratique auquel nos mutuelles n’échappent pas.

L’article ci-joint expose – mieux que je ne le ferais – en quoi le glissement sémantique du « gouvernement » vers la « gouvernance » évacue toute idée de contradiction, de lutte sociale au profit de « bonnes pratiques » destinées à protéger les intérêts des parties prenantes, mais en évacuant ce qui fonde les principes de la démocratie représentative.

Je ne cite qu’un extrait et vous laisse le plaisir de lire l’article entier : Gouvernance de Corine Gobin.

« Par le développement de la gouvernance, on assiste à l’échelon mondial, à la restauration d’un ordre politique plus proche dans sa nature des valeurs philosophiques de l’Ancien Régime qui … aboutit à stabiliser un système capitaliste qui se purifie progressivement des scories des réformes démocratiques qui lui furent imposées par les luttes politiques et sociales … »

Dans nos métiers, nos pratiques mutualistes, nous sommes confrontés directement à cette évolution.

L’apparition et la popularité du terme « gouvernance » est lié à des mutations de longue traîne, accélérées par la mise en œuvre de Solvabilité II.

Ces mutations sont de trois natures :

  • L’accumulation de rapports à produire, la codification tatillone de l’organisation et des processus d’élaboration censés garantir leur « sincérité » et « exhaustivité » engorge les ordres du jour des instances de nos mutuelles et prive les élus (représentants des adhérents) de légitimité au bénéfice d’un formalisme hypertrophié, scruté avec zèle par les régulateurs.
  • L’inflation de grands mots : « politiques », « fonctions clés », « appétence aux risques », « honorabilité » … Les régulateurs se sont emparés de concept philosophico politico managériaux anciens pour asseoir la légitimité de leurs prescriptions. Prenons « politique » : ils ont transformé cet enjeu majeur de nos démocratie (le gouvernement de la cité) en de multiples injonctions au formalisme souvent redondant et éloigné du sens originel du mot. Dans un autre ordre d’idée, la notion d’« appétence aux risques » nous propose un oxymore au sens douteux … Comme disait Camus : « A mal nommer les choses, on ajoute au malheur du monde. » En tout cas à la confusion.
  • Juges des bonnes pratiques, propriétaires de grands mots, les régulateurs se vivent – de bonne foi – comme les seuls exégètes autorisés de la bonne gouvernance et, partant, du bon gouvernement, ceci quelle que soit la légitimité élective des instances de nos mutuelles.

Au total, ce qui, dans la fresque d’Ambrogio Lorenzetti à Sienne (Allégorie du bon et du mauvais gouvernement), relevait du prince, relève désormais de la souveraine appréciation du contrôleur prudentiel. Les instances d’appel que sont les collèges des autorités de contrôle se bornent à vérifier que les commissaires-contrôleurs n’abusent pas de leurs pouvoirs.

Les textes eux-mêmes, bréviaires de ces commissaires, ont été élaborés par l’Union Européenne, hors de tout contrôle démocratique effectif puisque leur technicité a interdit toute tentative de décorticage par les parlementaires, à supposer que ceux-ci en aient eu la tentation.

Mais à qui profite le crime ?

A l’appareil d’Etat et à l’irrésistible tentation d’extension de son pouvoir technocratique. Irrésistible, mais pas pour tout le monde.

Prenons un exemple.

Une politique très attentivement examinée par les autorités de contrôles bancaires et assurantielles est celle concernant la lutte contre blanchiment et le financement du terrorisme (ce qui, en France, inclus l’évasion fiscale).

Je ne doute pas un seul instant que les rapports réglementaires des grandes banques françaises soient, en la matière, conformes, à la lettre, aux textes et que, de ce fait, ils ont satisfait les attentes des régulateurs. Et pourtant, toutes ces banques (ou quasi) ont des filiales dans des paradis fiscaux.

Sur le même sujet, j’ai vécu l’exemple d’une petite mutuelle spécialisée qui a eu du mal à produire ces mêmes rapports alors que son activité était peu susceptible de favoriser l’évasion fiscale ; simplement les moyens dont elle disposait pour satisfaire la lettre des textes étaient beaucoup plus limités.

L’oscillation tri-dimensionnelle entre contrôles scrupuleux de l’application des textes d’une part, extension irrésistible de ces contrôles au-delà des intentions du législateur due à la confusion des mots d’autres part et omerta sur les pratiques de puissants, rappelle des situations qui ont conduit, dans l’histoire, à la remise en cause brutale des pouvoirs établis.

Dans le cas qui nous occupe, la révolution pourrait, aisément et utilement, prendre une tournure positive : faire contrôler les contrôleurs par des représentants des citoyens et assurer la publicité des débats qui naîtraient de leurs échanges. Cet exercice démocratique pourrait avoir valeur d’exemple dans bien d’autres domaines.

Nous mutualistes aurions tout à y gagner.

Par Christian Oyarbide

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