Dans un article précédent sur linkedin, j’ai traité du pilotage de l’activité mutualiste par les valeurs.

Dans cet article, j’ai esquivé soigneusement trois sujets :

  • Que signifie « valeurs » ? Comment fait-on le départage entre une valeur, une obligation, une envie … ?
  • Sur quelles valeurs s’appuyer parmi la douzaine revendiquée, à un titre ou à un autre, par l’une ou l’autre mutuelle ? Sur toutes ? Et si non, comment faire la sélection ? Y a-t-il des valeurs incontournables ?
  • Et, enfin, une dernière question, qui m’est apparue au fil des échanges que j’ai pu avoir avec des « passionnés » du sujet : une valeur mérite-t-elle d’être mise en œuvre pour elle-même ?

Esquivant à nouveau les deux premières questions, je ne vais aujourd’hui traiter que la troisième à l’appui de quelques interrogations posées quatre valeurs que l’on retrouve peu ou prou dans toutes les proclamations des mutuelles relevant du code de la mutualité : démocratie, solidarité, engagement, proximité.

Si l’on s’extrait de notre univers mutualiste pour surplomber les tensions qui traversent nos sociétés, sans grand discernement, on peut déceler que ces quatre valeurs sont (avec d’autres) au cœur des débats sur ce que l’on pourrait appeler « faire société ».

Elles sont ainsi chargées d’une forte charge symbolique, sociologique, politique …

Les revendiquer pour nous qualifier nous impose, à ce titre, des devoirs qui dépassent les seules modalités d’exercice de nos activités.

J’enfonce le clou !

Les revendiquer impose des devoirs !

Le premier devoir, le devoir basique, sous peine d’imposture, (cf. l’article précédent) est de les incarner dans le pilotage de nos mutuelles. Leur énonciation nous oblige. Ou alors, ne les utilisons pas !

Mais il me semble que la mutualité doit beaucoup plus à ces valeurs que de les vivre comme des obligations.

A ce propose, dans l’article précédent, j’ai évoqué cette présentation de la mutualité, par tous les dirigeants successifs de la FNMF, comme étant un « mouvement social », mais j’ai également évité ce sujet.

Que signifie, aujourd’hui, « mouvement social » ?

Pour moi, et sans creuser plus avant, (ce qui serait nécessaire) se revendiquer « mouvement social », c’est affirmer que l’horizon de l’action mutualiste dépasse les seuls terrains de nos activités (santé, prévoyance, retraite …), même élargis à leurs finalités (accès aux soins, protection contre les aléas de la vie … ).

Je conçois que cette conception élargie du mutualisme puisse ne pas être partagée par tous.

Soit !

Mais esquiver le débat et ne pas le trancher, c’est s’interdire une mise au clair sur la portée des valeurs dont nous nous revendiquons.

Personnellement, je suis engagé en mutualité sur la base de cette conception élargie.

Mais qu’impose-t-elle lorsque l’on invoque les valeurs ?

L’horizon de la défense des valeurs c’est de les reconnaître « pour elles-mêmes » et pas seulement comme guides de nos actions

C’est de faire vivre la démocratie, la solidarité, l’engagement, la proximité, pas seulement pour nous différencier, mais pour prouver, à l’ensemble de la société, que cette vie est possible.

Cette exigence n’est pas celle de la seule mutualité, mais nous, au point de banalisation où nous sommes arrivés, il est urgent de réinterroger sa signification au regard des quatre valeurs retenues (pour l’exemple).

La proximité.

Marion Genaivre – philosophe – avec qui j’évoquais le sujet, me posait la question suivante : la proximité est-elle une valeur ?

En effet, la proximité -géographique, professionnelle, de destin – est tout d’abord la constatation objective de similitudes de situations (et pas une valeur). C’est précisément cette similitude qui a conduit, par une démarche volontariste (il serait utile de travailler ce qui a forgé cette volonté), des personnes à se regrouper au sein de mutuelles pour régler des problèmes « communs » (coût des obsèques, accès à la santé …).

Aujourd’hui ces proximités sont « liquides » (pour reprendre un concept de Z. Bauman), mobiles, changeantes et donc la motivation collective à se mutualiser perd son objet ou se défait au fil du temps. De surcroît, pour les contrats d’entreprises (et peut-être demain des fonctions publiques) la proximité professionnelle impose l’assureur aux bénéficiaires : la volonté individuelle n’est donc plus à l’œuvre.

Pour aller vite, on peut donc dire que, dans un très grand nombre de cas, « la proximité » n’est plus la déclencheur de l’adhésion à une mutuelle.

Est-ce donc toujours une valeur mutualiste ?

Cette interrogation n’est pas de pure forme.

Dans une société dont les observateurs et les analystes déplorent la perte du lien social, la passer par pertes et profits sans autre discussion ne va pas de soi.

Surtout lorsque l’on se revendique « mouvement social ».

Si la proximité est reconnue comme une valeur en soi, à promouvoir par l’action mutualiste, il est donc « mutualiste » de la « faire naître » en lui réinventant un (ou des) contenus à partir de ce que nous sommes, c’est à dire des métiers que nous exerçons, des relations que nous avons avec nos adhérents, des moments où cette proximité trouve à se concrétiser …

Inutile de préciser – mais je vais le faire quand même – qu’il ne suffit pas, pour cela, de régionaliser tel ou tel pan d’activité. Pour « faire naître » la proximité, il s’agit, me semble-t-il, de répondre à deux questions centrales :

  • Comment puis-je être en proximité mes adhérents pour les aider au mieux (il y a du care là-dedans) dans le cadre de mon champ d’action, au-delà de mes seules obligations contractuelles ?
  • Comment puis-je, en dehors de ces moments où je les aide, faire éclore entre eux et-au-delà des relations de proximité, retisser du lien social ?

Beau programme ! Pas facile !

Mais il conditionne pour une large part la densité du contenu qui sera donné à deux autres valeurs : engagement et solidarité.

L’engagement.

J’ai participé, à divers titres, à de multiples travaux et réflexions dans l’univers mutualiste sur la question de l’engagement.

Un des biais criants qui pollue les échanges, dans nombre de cas, est la confusion entre engagement mutualiste et engagement au profit de la mutuelle.

Sans qu’il soit nécessaire de développer, je crois qu’il est clair que dans une conception « mouvement social » de la mutualité, l’horizon est tout d’abord celui d’un engagement au profit des gens avec qui je suis en proximité et qui « souffrent » des difficultés auxquelles ma mutuelle a pour vocation de répondre.

En second lieu, toujours par référence à la dimension mouvement social, cet engagement comporte une dimension « militante » au profit de la transformation des conditions qui génèrent ces difficultés.

Si une mutuelle juge – et là encore le débat démocratique est essentiel – que ces deux formes (ou l’une des deux) d’engagement sont l’horizon de cette valeur, alors il lui appartient là aussi de créer les conditions pour qu’elles trouvent à s’exprimer.

On est loin de l’engagement au profit de la mutuelle et singulièrement de l’engagement dans ses instances de gouvernance.

Bien évidemment, l’un n’exclut pas l’autre et c’est parmi les plus engagés au profit des autres que l’on trouvera ceux qui accepteront – et je dirai même mériteront – de s’engager au profit de la mutuelle.

J’ai conscience de décrire des évidences, mais est-ce aussi certain que cela ?

A tout le moins, il me semble que nous, dirigeants mutualistes, devons faire un effort pour remettre en discussion ces idées d’engagement.

Ce ne sera pas facile car qui, aujourd’hui, parmi nos adhérents se définit comme « mutualiste » du simple fait qu’il est couvert en santé, prévoyance ou retraite par une mutuelle ?

La bataille est-elle perdue ?

Personnellement, je ne partage pas l’opinion qui veut que les jeunes générations ne s’engagent plus. Mais il est clair que les formes d’engagement que nous leur proposons ne leur parlent plus.

Je suis convaincu que si nous gagnons la bataille de la réinvention de la (ou des) proximité (s), alors celle de l’engagement suivra assez naturellement.

Mais cela suppose d’ouvrir des espaces d’interventions « sociétales » bien au-delà du business, des contraintes actuarielles, règlementaires, concurrentielles …

Nous sommes donc, comme pour la proximité, face à un défi majeur : si ces valeurs sont toujours (et peut être de plus en plus) actives dans la société et si nous ne faisons rien, elles existeront sans nous et nous n’existerons plus avec elles et pour elles.

La solidarité.

Cette notion est extrêmement riche, complexe, polysémique et mériterait l’intervention de philosophes, sociologues, économistes … pour être précisée.

Elle a pu être synthétisée dans le mouvement mutualiste par la phrase suivante : « Chacun cotise selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins. »

Pour de multiples raisons, abondamment discutées au sein du mouvement mutualiste, cette affirmation a été largement battue en brèche (tarifs par âge … ). A tel point qu’aujourd’hui la frontière conceptuelle entre mutualisation actuarielle et solidarité mutualiste est de plus en plus confuse, notamment pour les générations qui n’ont pas vécu la période où la phrase citée en début de paragraphe était incarnée dans nos tarifications et notre absence de sélection médicale.

Je ne vais pas ici discuter cette notion mais je voudrais simplement observer que faire vivre la proximité, susciter l’engagement, tels qu’esquissés ci-dessus, c’est poser les briques d’actions solidaires.

La difficulté qui se présente alors est la suivante : comment faire le lien entre ces solidarités « militantes » et l’activité « assurantielle » de nos mutuelles ?

Comment éviter comme – comme c’est le cas notamment depuis la séparation des activités de Livre II (assurance) et de livre III (services de soins) dans nos mutuelles – que ces terrains d’intervention s’éloignent « naturellement » sous la pression de contraintes relevant de référentiels économiques, règlementaires différents ?

Comment éviter que les systèmes de solidarité « institutionnels » existants dans nos mutuelles (fonds d’action sociale, fonds d’entr’aide, fondations …) ne soient relégués dans les marges du « business » et sans impact sur celui-ci ?

Comment retisser des liens visibles, incontournables, naturels entre les activités de Livre III (ou de logement, ou autre) et les mutuelles de Livre II au sein d’un même groupe ?

Comment incarner dans nos offres et relations à nos adhérents la solidarité quand la pression de la concurrence nous pousse à démutualiser les tarifs, à optimiser nos processus de gestion et de commercialisation ?

Ces interrogations sont aujourd’hui largement sans réponse « systémique », singulièrement dans les mutuelles où les liens de proximité « naturels » sont distendus, voire inexistants du fait même de leurs champs d’activité.

Dans nos mutuelles, ces interrogations ne sont plus aujourd’hui débattues pour diverses raisons tenant à l’histoire de chacune mais dont au moins une nous est commune et parfaitement compréhensible : quand on dirige une entreprise, on ne peut pas passer son temps sur des questions existentielles sans réponses. C’est à la fois contreproductif et mortifère.

Alors que faire ?

J’avoue ne pas avoir de réponse, si ce n’est, comme je l’ai dit plus haut, et même si cela ne résout pas tout, de réinventer des formes de proximités, reproposer des formes d’engagement mutualistes et de mettre en lumière, sans les occulter, les tensions entre solidarité et business.

Tout ceci peut être fécond sous une condition spécifiquement mutualiste : celle de l’exigence démocratique.

La démocratie.

S’il est bien une valeur de nos sociétés occidentales qui est en difficulté et qui mérite d’être âprement défendue, c’est celle-là.

S’il est bien un concept que nous n’avons pas le droit d’utiliser, de revendiquer sans tout mettre en œuvre pour le faire vivre, pour donner l’exemple, c’est bien celui-là.

Autant nous pouvons nous interroger sur le fait de savoir quel sens prend la proximité mutualiste aujourd’hui, si l’engagement peut être réactivé, où doivent être placés les curseurs entre rentabilité et solidarité, autant nous ne pouvons pas laisser la question de la démocratie en jachère.

Pas tant pour le fonctionnement de nos mutuelles, pas tant pour la qualité de nos prestations vis-à-vis des adhérents, mais tout simplement parce que, en cette période – comme d’ailleurs à beaucoup d’autres depuis le XIXème siècle – vider ce mot de son sens c’est faire le lit d’aventures politiques dramatiques.

A notre niveau mutualiste, nous avons donc l’ardente obligation de démontrer que la démocratie est possible, indispensable et que nous faisons tout, là où nous sommes, pour la faire vivre.

Face à cette obligation, j’ai fréquemment entendu deux excuses pour repousser la discussion.

La première serait le poids des contraintes externes (réglementations, concurrence …) qui dépossèderait les élus mutualistes du pouvoir de décision. Mais de quel pouvoir parle-t-on ? Celui de réinventer la proximité, de repenser la solidarité, de créer des territoires d’engagements ? Evidemment non.

La seconde tiendrait à la difficulté de trouver des gens prêts à s’engager dans la gouvernance de nos mutuelles. C’est le serpent qui se mord la queue : déplorer d’un côté que les élus n’aient plus de pouvoir et de l’autre déplorer de ne trouver personne pour exercer un pouvoir qui n’existe plus me semble singulièrement masochiste.

Si nous affirmons que la mission, la raison d’être d’une mutuelle, est plus large que l’assurance, que les enjeux associés ne sont pas de satisfaire aux règlementations et que nos conseils d’administration ont pour vocation première de décider comment faire vivre des valeurs malgré (ou avec) les tensions créées par les contraintes externes, alors nous pouvons entrevoir toute la richesse, toute la portée sociétale, des débats à naître.

Débats qui dépasseront, comme les valeurs, nos seules activités mutualistes pour « parler à » et « de » l’ensemble de la société. N’est-ce pas plus motivant pour des futurs administrateurs que de voter à la queue leu leu des rapports règlementaires ?

Evidemment, pour faire démocratie il n’est pas concevable de confiner ces débats dans nos Conseils d’Administration. Nous devons les ouvrir largement à nos adhérents (et au-delà).

Pour cela, nous avons une opportunité historique : la progression, dans la société, de l’idée que la démocratie est à réinventer et que sa forme représentative doit se « nourrir » d’autres formes.

J’ai la conviction que, si nous le voulons vraiment (j’insiste sur le vraiment), nous pouvons, nous mutualistes, être, avec d’autres dans l’ESS notamment, des laboratoires de ces nouvelles formes de démocratie.

En conclusion

Sur la question démocratique, comme sur celles posées par les autres valeurs évoquées (et par toutes celles que je n’ai pas traitées) le mouvement mutualiste a un grand atout : la diversité des mutuelles (certes en voie de réduction) qui fera la richesse des réponses, pour son propre bénéfice mais également pour le plus grand bénéfice de la société.

Le mouvement mutualiste, riche de son histoire et, encore, de ses militants, peut se donner pour ambition de faire vivre, pour elles-mêmes, les valeurs dont il se réclame.

Et c’est peut-être vers cet horizon là qu’il faut regarder pour donner, si nous le souhaitons, du sens à l’affirmation que nous sommes un mouvement social.

C’est, selon moi, vers cet horizon qu’il faut regarder pour reconquérir une utilité sociale spécifique.

Je mets une proposition en débat : faire de la vie de ses valeurs une activité à part entière !

Bien entendu pas « hors sol », mais sur les champs d’activités que nous couvrons. Pour Mutlog c’est l’accès et le maintien dans le logement synthétisés par notre « signature » : l’homme au cœur du logement.

Par Christian Oyarbide, Vice-président de MLS

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