Par Thomas Fâtome, Directeur général de l’Assurance Maladie – Article paru dans Les Echos le 14/12/2023 –
Dans une récente tribune, certains patrons de complémentaires santé dénonçaient le « désengagement » de l’Assurance Maladie, réponse « court-termiste » à une dérive « structurelle » des dépenses face à laquelle l’Etat et l’Assurance Maladie resteraient les bras croisés. Parce que cette tribune et ces discours ne sont pas isolés, il est utile de rappeler les faits.
Depuis plus de dix ans, le taux de couverture de l’Assurance Maladie progresse : entre 2012 et 2022, la part de l’assurance-maladie obligatoire dans la consommation de soins et de biens médicaux est passée de 76 % à 79,6 % tandis que celle des organismes complémentaires de 13,6 à 12,6 %. Désengagement, vraiment ?
Depuis plus de dix ans, l’Assurance Maladie prend à son compte toujours plus d’innovations, de soins coûteux, de patients chroniques. A 100 %. Parce qu’on l’oublie trop souvent, mais dans notre système de santé, l’assureur qui porte le risque lourd, c’est l’Assurance Maladie. Parce que nous remboursons 100 % des médicaments innovants, des actes coûteux à l’hôpital, du ticket modérateur pour les patients atteints de pathologies chroniques.
Pourquoi le taux de remboursement moyen du médicament a-t-il progressé en cinq ans, passant de 86,8 % à 88,5 %, soit une augmentation de 600 millions d’euros de dépenses annuelles supplémentaires en 2022 ? Parce qu’il y a plus de médicaments innovants et onéreux et que l’Assurance Maladie en assure la couverture intégrale. Pourquoi le reste à charge en France est-il le plus bas des pays de l’OCDE ? Parce que nous avons des complémentaires généralisées, c’est vrai, mais d’abord parce que l’Assurance Maladie rembourse les quatre cinquièmes des soins. Ne l’oublions pas.
Depuis plus de dix ans, les transferts de l’Assurance Maladie vers les complémentaires ont été extrêmement limités et les taux de remboursement ont très peu bougé. Et hormis l’homéopathie, les déremboursements sur la période sont proches de zéro. La petite musique visant à faire croire que l’Assurance Maladie transfère chaque année toujours plus de dépenses ne résiste pas à un examen rigoureux des faits et des chiffres.
La part des organismes complémentaires est prépondérante dans notre système de santé, avec plus de 30 milliards d’euros de dépenses. Mais les enjeux actuels méritent mieux qu’une vision caricaturale d’une Assurance Maladie peu innovante, d’un Etat qui veut tout réglementer et de complémentaires santé qui seraient empêchées d’agir.
L’Assurance Maladie a des frais de gestion particulièrement faibles (2,8 % des prestations versées) et qui continuent de baisser, alors même qu’elle ne cesse de développer de nouveaux services aux assurés : accompagnement en sortie d’hospitalisation, dépistages et prévention, numérique en santé.
Nous savons travailler ensemble, comme le montre la réussite collective du 100 % santé, dont bénéficient des millions d’assurés. Comme le montre aussi la signature conjointe, depuis plusieurs mois, d’accords majeurs avec les dentistes, les kinésithérapeutes, les sages-femmes, les infirmiers… Encore faut-il que les dépenses portées par les complémentaires au travers de ces accords ne soient pas dénoncées ensuite comme des transferts imposés par l’Etat !
N’en restons donc pas aux déclarations de principes et ne nous contentons pas de parler de la prévention, du parcours ville-hôpital ou de la lutte contre la fraude, mais travaillons-y. Ainsi, nous avons lancé un vaste plan de lutte contre la fraude sur les audioprothèses. Les complémentaires ne peuvent-elles pas aussi déployer davantage de moyens pour lutter contre la fraude sur les segments où leur place est importante ?
Sur la prévention, régulièrement invoquée, je dis aux complémentaires santé qui ont des moyens importants pour communiquer : « Qu’attendez-vous ? Qu’est-ce qui vous empêche de porter plus fortement les campagnes sur la vaccination, les dépistages, la lutte contre le tabac ? »
Le 15 décembre, le ministre de la Santé engagera de nouveaux travaux entre l’Etat, l’assurance-maladie obligatoire et les organismes complémentaires. Soyons à la hauteur des enjeux.
Le Directeur de l’assurance maladie ne manque pas de panache et il aurait tort de s’en priver face à l’atonie des dirigeants mutualistes qui, depuis de nombreuses années, n’ont d’autre comportement que celui de gesticuler à chaque transfert de charge de la sécu vers les complémentaires.
Désolé les gars, mais c’est la règle du jeu ! L’ouverture concurrentielle du marché de la complémentaire santé est faite pour ça : solvabiliser une partie toujours plus importante des dépenses de santé pour une partie de la population. Qu’il s’agisse de transferts ou d’améliorations de garanties. C’est là que notre Bon Directeur travestit un peu la réalité. Bien sûr, il y a une augmentation de la part de l’assurance maladie dans la prise en charge des dépenses de santé, mais par le jeu de l’augmentation de la prise en charge des maladies longues et coûteuses. Ce qu’il oublie de dire, c’est que ce sont les complémentaires qui financent l’ex CMU (C2S contributive et non contributive), que l’Etat prélève plus de 13% de taxes sur les couvertures complémentaires.
Et que si les cotisations des complémentaires augmentent c’est bien par le mécanisme des transferts ou des décisions de l’assurance maladie.
Si les frais de gestion des complémentaires sont ce qu’ils sont, c’est en grande partie dû à la concurrence qui a été instituée.
Et oui, en économie de la santé, la concurrence est souvent un facteur d’inflation.
S’il est si déçu du comportement des complémentaires, il ne lui reste plus qu’à assumer le transfert des complémentaires dans l’assurance maladie avec les 2 à 3 % de prélèvements obligatoires en plus et concomitamment l’émergence d’une médecine, vraiment à deux vitesses, avec le financement privé d’un secteur de santé privé, comme cela se passe chez nos voisins.
Notre bon Directeur ferait mieux de nous expliquer comment l’optique est devenue pléthorique en France, comment l’audioprothèse est en train de devenir un marché de cocagne, pourquoi le niveau de vie des dentistes ne cesse de s’améliorer, et accessoirement pourquoi aucune véritable évolution n’est intervenue dans les modes de rémunération des médecins, pourquoi des professionnels de santé comme les infirmières de pratique avancée, les médiateurs en santé, etc, sont si peu nombreux et si mal rémunérés et nous ne parlerons pas des retards en matière de médecine ambulatoire et de restructuration hospitalière.
Au moment où se négocie la convention médicale, il est de bonne guerre de se passer le mistigri et d’expliquer aux populations sur lesquelles repose le financement de la santé que c’est la faute de l’autre. Personne n’est dupe.