Nicolas Hulot lance un appel à tirer les leçons de la crise actuelle et met en avant 100 idées. Buzz stérile ou début de quelque chose ? La Mutuelle Les Solidaires ouvre le débat avec Jean Sammut et Christian Oyarbide.
MLS : Nicolas Hulot nous invite à tirer les leçons de cette crise. Mais, au fond, tout le monde dit cela. Que pensez-vous de son appel ? Un de plus ?
C.O. : Très franchement, pour moi ce n’est qu’un appel de plus. Un appel de plus de quelqu’un qui use – je n’ose pas dire « abuse » – de son accès aux médias pour occuper l’espace. Mais quel espace ? C’est la première question. Tout seul ou avec qui ? Voilà la deuxième question.
J. S. : La crise que nous vivons est d’une violence inouïe, non seulement par le nombre de morts, par l’arrêt de l’économie mondiale, mais aussi par la manière mondialisée et individualisée dont nous la vivons. Elle intervient à un moment où la question de l’accroissement insupportable des inégalités, la question de l’urgence climatique, trouvent un véritable écho dans la nouvelle génération et, à travers elle, dans toute la population. Alors, peu importe qui parle avec qui ?! L’important est de mettre le projecteur sur le véritable combat : le rejet de l’excès ! Décréter la bataille contre l’Ubris ! Et autour d’elle, il peut y avoir des débats, des rencontres, un mouvement fédérateur.
MLS : Vous semblez penser que le débat de fond reste à faire. Or, Nicolas Hulot met déjà en avant 100 idées. 100, ce n’est pas rien!
C.O. : J’y vois, moi, 100 proclamations de bonnes intentions. Les bonnes intentions de Nicolas Hulot. Je n’en prends qu’une : « le temps est venu du travail qui épanouit ». A ce niveau de généralité, qui peut être contre ? A ce niveau de généralité, tout le monde a 100 idées à formuler. Sans vouloir nous mettre en avant (quoique), sur le blog de la Mutuelle Les Solidaires, nous faisons l’effort – à rebours de tous les conseils des communicants – de proposer des analyses longues. Peut-être trop longues pour être lues ; mais même ceux qui ne les liront pas comprendront que, pour nous, les slogans, les raccourcis simplistes, les proclamations de bonnes intentions, ne sont pas à la hauteur des questions que pose cette crise.
J. S. : Sans doute et il ne faut pas gommer « le coup politique » de Nicolas Hulot. Mais au-delà de la recherche du symbole et des déclarations d’intentions, il y a un intérêt à montrer le lien, – les liens – entre travail, vie personnelle, santé, marché, planète… Mais, en effet, ce qui doit interpeller, chacun de nous, chaque organisation – et qui va nécessiter de nombreux débats et approfondissements – c’est comment s’interroger et être interrogé sur son rapport à « la société de marché », au « tout concurrentiel ». Face à la complexité de tels questionnements, il s’agira d’être précis et « essentiels ». Pour ce qui concerne notre secteur de l’ESS, que signifie lutter contre l’Ubris ? Que veut dire la revendication d’une sortie du marché ? Comment y parvenir sans un mouvement de la population elle-même et sans sa compréhension des enjeux ?
MLS : Christian Oyarbide, vous êtes très critique sur la démarche de N. Hulot et pourtant la proposition 62 dit : « le temps est venu de l’économie sociale et solidaire« . Il va dans votre sens de militant mutualiste.
C.O. : En effet, certains de nos amis se sont réjouis de cette 62e idée. Pas moi. Je suis très réservé sur une démarche où un homme seul « proclame ». Pour nous, le temps est venu où l’ESS, et singulièrement la mutualité, doivent faire proclamer les citoyens en revenant vers eux. Le temps est venu où ces 100 idées doivent émerger de la population et où l’ESS doit s’effacer devant la délibération pour ensuite se mettre au service des 100 idées qui en sortiront. Alors, la démarche d’un homme seul, aussi pétrie de bonnes intentions soit-elle, très peu pour moi !
J. S. : Cette proposition 62 peut être un vœu pieux ou le point de départ d’un renouveau de la pensée. Notre génération a été confrontée à l’échec du socialisme totalitaire et nous tous à l’échec du néolibéralisme. Qu’est-ce qu’on fait après ? On ne construit pas, on n’avance pas sans savoir où on veut aller. Et ce débat est très peu ouvert, notamment par le refus de se confronter à une partie de l’histoire de la pensée. Le temps d’après est-il celui de l’ESS ? Oui, l’ESS pourrait s’inscrire comme « le mode de vie «économique structurant », aux côtés de et en corrélation avec l’Etat, en concurrence avec les formes économiques marchandes dans une société qui reconnaîtrait l’importance de rompre avec le tout marché. Cette utopie existe déjà dans les associations, les initiatives solidaires, dans les réalisations des mutuelles, dans les formes de travail en commun des coopératives. Le décisif, c’est de prendre conscience du caractère ontologique de ces « futurs présents ». Et, en effet, la question de la méthode pour y parvenir est déterminante : ce ne peut pas être un homme seul. Ce questionnement est celui de la société et il est celui de chaque organisation ; il ne peut pas être mené à l’emporte-pièce. Il doit être alimenté par un désir sincère de s’informer, de se cultiver. S’il doit être profondément démocratique au point de remettre en cause les fausses démocraties représentatives, il doit également être expert, car la société s’est considérablement complexifiée. C’est à cette construction que MLS veut apporter sa contribution.