Cette contribution doit être comprise d’un double point de vue.
Sur les droits eux-mêmes : nous pensons inutile de rouvrir les discussions sur ce que pourraient être les droits sociaux et sur les champs d’application déjà définis par la Commission. Ils nous paraissent couvrir l’essentiel des préoccupations. Bien entendu, certaines formulations, certains angles de vue, pourraient être discutés et nul doute qu’ils le seront. Rappelons également que les Droits Economiques Sociaux et Culturels de l’ONU constituent un cadre de référence.
Sur les garanties de mise en œuvre qui sont l’objet de notre contribution, nous pouvons aller droit au but : nous ne pensons pas souhaitable, ni même efficace, de développer des directives copieuses, des règlements complexes qui, même s’ils étaient contraignants pour les Etats, manqueraient, selon nous, leur cible, c’est-à-dire l’amélioration concrète de la condition des citoyens en situation de fragilité.
Pourquoi pensons-nous que les formes réglementaires habituelles rateraient cette cible ?
Il est depuis longtemps avéré, dans les cadres nationaux, que la solution n’est pas d’égrener chaque jour plus de droits sociaux, de les appuyer sur des règles, des normes. Les besoins des populations les plus éloignées de ces droits passent très largement sous les radars de la loi.
Selon nous, toute démarche de mise en mouvement pour une meilleure garantie, doit considérer deux leçons de l’histoire :
- Les droits sociaux sont d’autant mieux garantis qu’ils font l’objet d’un large consensus parmi les citoyens. Faute de quoi ces droits – consubstantiellement « collectifs » – mutent en revendications de « droits pour soi » et ouvrent ainsi la porte à un double mouvement : leur marchandisation consumériste d’une part (qui exclut les « hors marché », précisément les plus concernés) ; la critique anti-démocratique des Etats qui ne savent pas reconnaître ce qui est bon « pour moi » d’autre part (critique qui fait le lit de tous les populismes),
- Les droits sociaux ne deviennent effectifs que si les besoins auxquels ils prétendent répondre et les voies d’accès aux solutions ont été identifiés et qualifiés au plus près des populations. Rappelons rapidement ici que les droits sociaux en vigueur dans les différents Etats ont été « conquis par » ou « construits avec » les populations concernées et leurs représentants.
Pour répondre à la double problématique ci-dessus, nous proposons deux principes, indissolublement liés :
- Les droits sociaux ne sont pas la réparation des dégâts du développement mais la condition même de celui-ci dans une société démocratique. A cet égard, ils doivent être portés par l’Union Européenne au même titre que sont portées la défense de la concurrence et celle du marché. Dit autrement, au nom de l’effectivité des droits sociaux, il doit être possible de mettre en question, voire de désencastrer l’activité des organismes qui y répondent des directives organisant la concurrence, mais aussi de toutes les directives collatérales. (Solvabilité 2, par exemple pour ce qui concerne l’accès à la santé).
- Ce « désencastrement » doit être évidemment justifié et ne sera recevable que si trois conditions sont remplies simultanément :
- Les organisations qui le revendiquent doivent s’extraire elles-mêmes du marché pour l’activité concernée, c’est à dire faire la démonstration que celle-ci est isolée et exercée en non-lucrativité totale (nous ne soutenons pas l’idée de lucrativité limitée qui laisserait la porte ouverte à des acteurs concurrentiels). (pilier1)
- Ces mêmes organisations doivent apporter la preuve que, sur l’activité concernée, non seulement les besoins et les solutions ont été identifiés avec (et pour) les populations, mais également que l’activité est organisée de façon que celles-ci aient une voix prépondérante dans la gouvernance l’activité. (pilier 2)
- L’activité est pilotée par des indices d’efficience (non nécessairement chiffrés, d’où l’abandon du terme « indicateurs ») au regard de l’accès des populations à la couverture des besoins identifiés. (pilier 3)
Nous n’avons pas ici le temps, ni les moyens, de mobiliser des compétences pour trouver les voies de l’inscription de ces propositions dans le corpus du droit européen et de sa déclinaison par chaque Etat mais nous sommes attachés à quelques modalités « dures », destinées à garantir les objectifs ci-dessus.
- Il serait inutile, voire contre-productif, de rajouter de la réglementation à la réglementation pour préciser très au-delà la description des trois piliers ci-dessus. L’obésité réglementaire ferait courir un risque majeur : l’introduction de complexités qui excluraient les acteurs de terrains – les plus utiles et engagés – de cette ouverture majeure que serait la levée des freins issus des autres directives. Ces acteurs savent mieux que quiconque ce qui les entrave et c’est à eux qu’il appartient de faire la démonstration qu’ils sont légitimes à s’en extraire sans qu’il soit besoin de le spécifier dans le détail a priori.
- Pour favoriser l’appropriation, ou ré-appropriation, de la notion de Droits Sociaux par les citoyens des Etats, c’est à leur niveau (des Etats), qu’il appartiendra de juger si ce « désencastrement » est légitime. En effet, chacun a des traditions en la matière qu’il serait, non seulement présomptueux, mais dangereux pour l’Union de vouloir bousculer.
- Pour de multiples raisons – trop longues à détailler ici – dont la première est que l’engagement des citoyens est essentiel dans cette acceptation, l’organisme en charge de l’autoriser devra œuvrer sous la tutelle d’institutions politiques démocratiquement élues (les parlements a priori) et donner une voix délibérative significative aux corps intermédiaires, aux élus, mais aussi à des citoyens indépendants (le tirage au sort pourrait être une option pour leur désignation).
- Chaque Etat aura une large marge de manœuvre dans l’organisation de cet organisme ; l’Union Européenne – plus spécifiquement via son Parlement pour rester cohérent – aura à veiller à ce que les principes ci-dessus soient respectés et que le « désencastrement » ne devienne pas un outil de compétition économique.
Les Droits Sociaux « effectifs », comme le reconnaissait la Conférence de Philadelphie, sont les piliers de nos démocraties. Plus leur application sera en proximité et sous le regard des citoyens, plus nous pouvons espérer une saine émulation entre Etats dans leur mise en œuvre. L’Union européenne est légitime à organiser cette émulation et cette légitimité sera réflexive dans le rapport des citoyens européens à l’Union.
par Christian Oyarbide
Il y a une vraie nécessité à ce que l’ESS s’empare « des possibilités » ouvertes, plutôt qu’offertes par l’Europe. Mais cela ne peut être considéré que du point de vue exclusif de la démarche institutionnelle visant à la reconnaissance de la représentativité de tel ou tel ! C’est aussi un combat visant à faire partager (ou à partager avec) par les organisations, les peuples des différents pays européens nos convictions, notamment en matière de gestion démocratique, en matière de solidarité(s) volontaire(s), en matière d’initiative citoyenne et de lutte contre les dispositifs assurantiels. De ce point de vue là, la bataille contre Solvency 2 revêt un caractère efficace certes, mais aussi symbolique, dans la mesure où il est l’archétype de cette société normée que le néolibéralisme veut instaurer dans tous les domaines et notamment dans le domaine social.