Cet édito de Fabrice Rousseau dans Beaux arts m’a fait penser à la côte de popularité de Jordan Bardella de plus en plus haute dans les sondages, et pourtant c’est un fake !
ÉDITO PAR FABRICE BOUSTEAU
On ne voit que ce que l’on croit !
En 1934, un journaliste du Times écrivait : «Corot a peint 2 000 tableaux dont 10 000 sont aux États-Unis.» Extrait du passionnant Faussaires illustres (éd. Actes Sud, 2025) signé du journaliste du Monde Harry Bellet, le cas Corot n’est que l’un des très nombreux exemples des multiples faux qui remplissent les plus prestigieux musées et collections privées dans le monde, et ce sans que l’on s’en rende compte. Ainsi, entre 1968 et 2011, quelque 162 Rembrandt ont été jugés douteux ou faux. Et, en 2024, le Van Gogh Museum, à Amsterdam, a établi que trois œuvres publiées dans le catalogue raisonné du peintre n’étaient pas de sa main. Pourtant, même les plus prestigieux artistes ont eux aussi fait des faux : Michel-Ange, qui dans sa jeunesse – pour gagner un peu d’argent – sculpta un Cupidon à la manière des artistes gréco-romains et l’enterra pour lui donner la patine des siècles ; ou encore Greco, qui demanda à son atelier de reproduire à l’identique certains de ses tableaux en cinq ou six exemplaires pour satisfaire la demande. Comment expliquer que l’on mette parfois des siècles à débusquer un faux ? Harry Bellet a la réponse : «Comme le dit le fameux dicton, “On ne trouve que ce que l’on cherche”, car on ne voit que ce que l’on peut concevoir.» Et si une œuvre est signée Corot, c’est que c’est un Corot ! Si vous pensez que la maxime de Saint Thomas «Je ne crois que ce que je vois» est juste, vous vous mettez grave le doigt dans l’œil ! On considère que telle pièce est un chef-d’œuvre de l’art contemporain car on nous dit qu’elle l’est et que nous croyons ceux qui nous le disent. Et ce n’est pas nouveau. Dans À l’assaut du réel (Puf, 2025), le sociologue Gérald Bronner rappelle une étude publiée en 1947, lancée par les psychologues Jerome S. Bruner et Cecile C. Goodman, qui le démontre : «Ils ont demandé à des enfants d’évaluer comparativement la taille de pièces de monnaie et de rondelles de carton. Or, celle des premières fut systématiquement surévaluée par rapport à celle des secondes. La valeur de la pièce de monnaie la fait percevoir comme plus grosse de 30 % que les rondelles de carton pourtant strictement de taille égale.» Et Gérald Bronner de préciser que les enfants les plus pauvres voyaient la pièce plus grande encore de 25 % que les autres enfants. Comment analyser ce phénomène ? «On n’obtiendrait pas de tels résultats si la valeur argent n’était pas plus désirable que le carton, et plus encore pour des enfants modestes. C’est donc comme si le désir déformait la perception de la réalité.» Autrement dit, nous sommes souvent tentés de faire passer nos désirs pour la réalité. Ainsi notamment des reliques, comme le souligne aussi Harry Bellet : «Le prépuce du Christ, prélevé selon Luc “le huitième jour, celui de la circoncision”, existe en 14 ou 15 exemplaires.» On le vénère simultanément à Poitiers, à Rome, à Chartres, à Compiègne… Ce n’est plus le Christ mais une sorte de Shiva aux 15 prépuces ! En mai 2019, en pleine biennale de Venise, Banksy, star du street art, s’est déguisé en peintre ambulant, vendant entre 5 et 10 euros des petits tableaux parodiant les peintures vendues aux touristes. De vrais Banksy que personne n’a pris comme tels vu le déguisement de l’artiste. On ne voit que ce que l’on croit ! C’est toute la folie qui s’annonce et fait de plus en plus de ravages dans l’information comme dans l’art avec les images créées par l’IA. Au point de se demander si, un jour, une image ne sera considérée comme vraie qu’à partir du moment où on la croira vraie ! Et peu importe qu’elle soit un fake.