Le nouveau confinement se déroule dans la plus grande confusion et laisse les citoyennes et citoyens que nous sommes assez désemparés.

Les pas de deux autour de l’ouverture des commerces et de la nature de ceux qui doivent ou ne doivent pas ouvrir, les discours contradictoires tant au sein du gouvernement que du Medef sur le télétravail, le couac entre le porte-parole du gouvernement et le premier ministre sur le cumul confinement-couvre-feu, s’ajoutent aux incertitudes, somme toute assez raisonnables, voire les polémiques, désastreuses, au sein de la communauté des épidémiologistes et infectiologues.

L’impréparation reprochée au gouvernement en mars face à la première vague est incompréhensible aux yeux de beaucoup face à la seconde.

Il est un adage oriental qui dit « La deuxième fois que l’âne te botte, c’est toi l’âne ! ».

Six mois après, l’hôpital public paraît toujours aussi déstructuré et semble ne tenir que par l’engagement admirable de ses communautés professionnelles. Que doit-on penser après les discours et le Ségur de la santé du prochain PLFSS et des cartes des suppressions programmées de lits, voire d’établissements entiers ?

Christophe Lannelongue, directeur de l’ARS Grand-Est, dans sa sortie d’avril qui le fit sanctionner, ne faisait que souligner avec un temps d’avance, la logique de ce qui est pudiquement appelée « modernisation » de l’hospitalisation publique et qui a provoqué plusieurs mois de grève en 2019.

Et pourtant, on en a parlé de ce « jour d’après » et beaucoup ont cru sincèrement qu’il serait la version nouvelle des « lendemains qui chantent ».

Des aspirations à plus de participation citoyenne, à plus de démocratie y compris de « démocratie sanitaire » se sont manifestées.

La République de l’ESS que doit présenter ces jours-ci Jérôme Saddier en tant que président d’ESS-France participe de ces aspirations.

Aux côtés de ceux qui résistent au sein des services publics dévastés et en premier lieu à l’hôpital, beaucoup d’acteurs de l’ESS travaillent à une transformation démocratique, sociale et écologique. Mais il y a aussi toutes ces citoyennes, tous ces citoyens qui ont connu (et poursuivent) dans la crise actuelle leur premier engagement autour d’initiatives de solidarités, formalisées ou non. Ainsi au Secours Populaire, ce sont plusieurs milliers de jeunes qui sont venus renforcer les équipes, voire substituer les bénévoles tenus éloignés par leur âge ou leur état de santé des actions.

Je lisais récemment, dans « les Tribunes de la Santé, revue de la Chaire santé de Sciences Po, un très intéressant article sur la « démocratie sanitaire » reprenant l’histoire et l’actualité des associations de patients et des institutions publiques comme le CISS devenu France Assos Santé. Intitulé « la démocratie sanitaire : une réponse néo-corporatiste française à la demande de participation », on y voit l’ouverture progressive à l’occasion de crises, et notamment de l’épidémie de SIDA, des instances publiques en charge de la santé, mais aussi les tensions que cette ouverture provoque avec les acteurs plus traditionnels comme les syndicats, mais aussi les tentatives de certains grands industriels intervenant dans la santé de s’inviter, chargés de cadeaux, à la table des associations. L’auteure de cette étude, Valérie Chigot, médecin radiologue, exerce par ailleurs au sein de la Coopérative de santé Richerand, à Paris, près du Canal Saint-Martin. Rappelons qu’il s’agit du premier centre de santé en SCIC où salariés, usagers et autres parties prenantes portent ensemble un projet collectif ouvert tant sur la ville que sur l’innovation et la recherche.

J’ai lu aussi dans « le Monde diplomatique » d’octobre, un article plus contestable, sur les Mutuelles qui seraient devenues « finalement des assureurs comme les autres ». Les critiques de dérives assurantielles des mutuelles dans les dernières années ne sont pas, pour une bonne part, sans pertinence, je n’ai pas manqué d’en formuler moi-même. Mais des erreurs quant à l’histoire, une référence sans recul critique à la Sécu actuelle qui est si loin de la Sociale de Croizat, affaiblissent l’argument. Mais surtout il n’est pas fait état de ce qui fait pour beaucoup la singularité mutualiste c’est à dire les SSAM, ces milliers d’établissements, de dispensaires, cabinets dentaires, EPHAD, pharmacies et magasins d’optique qui sont souvent les lieux de recours pour les plus fragiles et dans les déserts médicaux. La Mutualité est aussi un acteur collectif. Eric Chenut, vice-président de la MGEN, dans un débat de « la Fête de l’Humanité autrement » (repris dans Humanité Dimanche en date du 5 novembre) souligne l’importance qu’il y a face aux aspirations à une « démocratie sanitaire » de renforcer la place des adhérents dans la vie de sa mutuelle pour assurer les tâches de prévention de santé, ou plutôt de préparation de la santé qui est aussi une des responsabilité de la Mutualité.

Les militants et les établissements mutualistes, ils peuplent le « Journal d’une crise » publié en septembre par Thierry Beaudet aux éditions de l’Aube. Avec la sincérité qui est la sienne, le président de la FNMF, fait part de ses interrogations, de ses craintes et de ses espoirs. Et ceux-ci sont avant tout dans l’engagement des ces femmes et de ces hommes qui croient encore au projet collectif qu’est le mutualisme.

Pour autant, devant les problèmes majeurs que la crise soulève et étouffe tout à la fois : la démocratie, les inégalités, la pauvreté, les acteurs de l’ESS engagés notamment dans la santé ne pourront pas faire l’économie d’un débat sur une refondation politique profonde, sur des changements de modèles, touchant y compris leurs structures.

Et vous, vous faites quoi demain ?

Par Jean-Jacques Milesy,

Secrétaire général de l’Institut Polanyi.

* Les opinions exprimées dans cette publication n’engagent que leurs auteurs.

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