Marc Gabriel. Article paru dans l’Humanité, le 10 janvier 2022

Dans le sud du pays, l’association Ensemble pour l’espoir et le développement a mis en place une mutuelle solidaire qui permet un accès aux soins gratuit pour tous.

Dans la cour de sable brun, Moussa Demba Diao attend patiemment son tour. En ce jour de fin décembre, les patients se pressent dans le centre de santé de Boully, une localité au sud de la Mauritanie où vivent près de 10.000 âmes dans des petites maisons d’argile. À l’occasion de son forum annuel, l’association Ensemble pour l’espoir et le développement (EED) a organisé une opération gratuité des soins durant trois jours. Et c’est le succès. On y croise des femmes et des enfants venus se faire ausculter, des hommes au corps usé par le labeur, des personnes âgées heureuses de pouvoir rencontrer un ophtalmologue… Demba, lui, est agriculteur. Il cultive du mil dans un village à 14 kilomètres de là. Cette gratuité des soins est une aubaine. Les consultations en Mauritanie sont accessibles, mais les médicaments beaucoup moins. Et une boîte d’antibiotiques, facturée 400 ouguiyas (1 euro) n’est pas forcément à la portée de tous.

C’est pour cette raison que l’EED a créé une mutuelle solidaire. Chaque adhérent paye à partir de 50 centimes par mois – plus s’il le peut – et reçoit tous les soins disponibles gratuitement. « Au début, le système fonctionnait grâce aux cotisations des adhérents en France » explique Fatouma Soumaré, secrétaire générale de l’association. Mais cette assistante sociale basée à Montreuil s’empresse d’ajouter : « On s’est vite rendu compte qu’il fallait rendre le système autonome et créer une adhésion plus forte des habitants. Désormais, chaque village gère son système. En étant solidaires entre eux, ils peuvent financer la mutuelle. Il y a, en moyenne, 300 cotisants par localité. Tous les villages reversent aussi 10 % des sommes récoltées à une caisse commune. Si un village est en difficulté, il peut piocher dedans« .

À l’entrée du dispensaire, les personnes sont reçues et orientées par Goundo Cissoko, Tako Kébé et Fatoumata Camara, toutes trois infirmières en région parisienne. Elles ont voyagé spécialement pour participer bénévolement le temps du forum. « On est venues apprendre. Ici, ils n’ont pas de plateaux techniques très développés et, malgré tout, ils arrivent à établir de bons diagnostics. On veut s’imprégner de leur expérience et de ce savoir-faire.« 

Une initiative qui s’adresse d’abord aux plus précaires

Concernant la médecine générale, le docteur Ethmane Rassoul reçoit les patients. Selon lui, la mutuelle mise en place par l’EED s’avère « très utile dans les zones reculées, car, même si le coût dans les hôpitaux n’est pas exorbitant, ça reste très élevé par rapport au revenu moyen par habitant« . C’est aussi l’avis de Boudy Cissé, une sage-femme pour qui cette initiative s’adresse d’abord aux plus précaires. « Depuis peu, les femmes qui ont une carte d’identité mauritanienne payent un forfait obstétrical de 4 000 ouguiyas (10 euros) qui prend en charge tout le parcours de la femme enceinte, précise-t-elle. Le problème, c’est pour les femmes qui n’ont pas les moyens de se payer ce forfait et pour les personnes qui n’ont pas de papiers. Ils sont assez difficiles à obtenir. Pour les exclues du forfait obstétrical, une césarienne est facturée 2 500 euros. »

D’après Boudy Cissé, le problème réside aussi dans l’accès à la formation, qui est dispensée en français, parfois en arabe, mais jamais en soninké, langue majoritaire dans cette région du Guidimakha. C’est pourquoi l’EED loge les élèves infirmiers ou sages-femmes et leur offre une bourse afin de permettre de développer le niveau de qualification. Comme l’a fait remarquer le docteur Ethmane Rassoul, beaucoup de communes se dote d’outils médicaux, qui ne sont pas utilisés faute de personnes compétentes. « Le malheur, c’est que les ressources sont mal réparties entre Nouakchott et le reste des localités, insisté le médecin. Les professionnels sont nommés dans des centres mais ils ne viennent pas, créant des déserts médicaux. »

« Notre rôle est d’initier et de conscientiser« 

La mission de l’EED est d’aider au développement de la Mauritanie, notamment dans la région de Guidimakha, en investissant dans la santé, l’éducation et l’agriculture. Le président de l’association, Waly Diawara, en est convaincu. « L’Afrique se suffit à elle-même. Elle peut décider de créer un système social qui sécurise ses populations. La mutuelle de l’EED n’est financée par personne d’autre que les cotisants. » En deux mois, ceux de Boully ont contribué pour 2 millions d’ouguiyas, soit l’équivalent de 6 000 euros. Une somme qui n’aurait jamais pu être réunie auparavant.

« C’est la preuve que c’est possible, poursuit Waly Diawara. Si l’Etat ne le fait pas, nous on doit s’organiser. » Avec parfois la satisfaction de servir de modèle. En 2016 et 2019, l’EED a pris en charge l’ensemble des évacuations sanitaires. À force de discussions avec le ministre de la Santé, ces dernières sont désormais gratuites. Idem pour le forfait obstétrical qui n’aurait jamais été mis en place si l’EED n’avait pas montré l’exemple. « L’Etat comprend que si une association peut le faire, il peut s’y substituer et le prendre en charge, relève Waly Diawara. Notre rôle est d’initier et de conscientiser. La France a bien réussi à mettre en place son système de Sécurité sociale. Nous aussi, on peut le faire ! »

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