Tribune publiée dans Les Echos, le 29 février 2024
C’est une démarche rare, même au sein d’un monde mutualiste qui s’est créé sur la défense de valeurs fortes. Face à une crise démocratique qu’il juge profonde, Benoît Fraslin, président de la Mutuelle Nationale des Hospitaliers (MNH), lance un appel à la mobilisation des mutuelles et plus largement de tous les corps intermédiaires afin d’éviter « l’archipélisation » de notre société.
Crise des gilets jaunes, émeutes urbaines, violences à l’égard de nos élus, soignants et fonctionnaires, montée des extrêmes, recul incessant de la nuance au profit des radicalités et du simplisme, exacerbation à outrance de l’individualisme… La démocratie française fait face à la dure réalité d’une fragmentation de plus en plus visible de notre société.
Ces divisions entament notre capacité collective à répondre aux enjeux que représentent les transitions majeures de notre siècle : écologique, démographique, numérique, ou encore économique pour ne citer qu’elles. Elles menacent la justice sociale qui constitue l’un des socles de notre modèle à la Française, auquel nos concitoyens sont légitimement tant attachés.
Un constat insupportable
En tant que dirigeants mutualistes, ce constat d’une forme d’épuisement démocratique qui nous pousserait inéluctablement vers des réponses de plus en plus radicales aux maux de notre société, nous est insupportable.
D’aucuns, de moins en moins décomplexés, en font leur fonds de commerce. Pas nous.
La France – et au demeurant l’Europe – traverse une crise démocratique, profonde, insidieusement installée depuis de nombreuses années, multidimensionnelle. Mais la France porte aussi, en son sein, les acteurs capables d’apporter les réponses à cette crise, aux côtés de la République elle-même. Parmi ces acteurs du rebond démocratique, les corps intermédiaires devraient pleinement pouvoir jouer leur rôle. Au premier chef desquels, les Mutuelles.
Un lien complémentaire entre la République et les citoyens
Car les corps intermédiaires constituent une formidable courroie de transmission dans notre société : ils consultent, représentent, organisent, expliquent et offrent des débouchés aux attentes des citoyennes et citoyens. Ils sont de véritables relais d’expertises, (re)construisent du lien entre les différentes catégories sociales, autour d’une aspiration commune ou d’un projet commun, portent la voix d’ambitions individuelles qui ne peuvent se réaliser sans émancipation collective. Ils sont tour à tour lanceurs d’alertes, forces de propositions, opposants, négociateurs et régulateurs. Ils obtiennent des avancées collectives, mettent des mots, parfois, et des pansements, souvent, sur certaines colères sociales, s’intéressent directement à la chose publique et permettent aux individus de participer à un tout plus grand qu’eux. Ils constituent, en cela, un lien complémentaire entre la République et les citoyens.
Une forme de responsabilité dans l’épuisement démocratique
Les Mutuelles sont, à titre d’exemple, des lieux dans lesquels ouvriers, cadres, agents publics, salariés du privé, professionnels libéraux, chefs d’entreprise, techniciens, demandeurs d’emploi, échangent, débattent et décident collectivement, et démocratiquement, de leurs protections sociales. Qu’ils viennent du Nord, du Sud, de Métropole ou d’Outre-Mer, qu’ils soient jeunes ou âgés, actifs ou retraités, femmes ou hommes, issus de catégories sociales favorisées ou défavorisées, les milliers de délégués mutualistes que comptent les Mutuelles en France sont autant de personnes qui fabriquent au quotidien du lien social, des solidarités, qui s’engagent pour la collectivité et bâtissent une part de commun pour l’ensemble de nos concitoyens.
Reconnaissons-le toutefois, les corps intermédiaires ne sont pas exempts de reproches : nombre d’entre eux, y compris parfois nos Mutuelles, n’ont pas su s’adapter aux profondes transformations sociales, sociétales et politiques de ces dernières années, ou apporter des réponses aux attentes nouvelles de nos concitoyens en termes d’engagements. Nous avons, en cela, une forme de responsabilité dans l’épuisement démocratique que nous constations ci-avant.
Redonner la capacité aux citoyens de s’engager
Le sursaut est toutefois encore possible, et nous avons la responsabilité de le susciter. Car crise démocratique et crise des corps intermédiaires sont les deux faces d’une même pièce, l’une alimentant l’autre, et vice-versa.
Nous en sommes convaincus, nous, mutualistes et acteurs des corps intermédiaires de tous bords, avons notre rôle à jouer pour revitaliser notre démocratie et redonner la capacité aux citoyens de s’engager et changer leur vie.
Notre devoir est d’entrer dans la bataille pour répondre à la crise démocratique par plus de vitalité, par la réinvention de nos modes d’engagements, par l’amplification de nos modèles de gouvernance démocratique, par le combat à mener pour renforcer la solidarité et le lien social qu’offrent nos institutions. Le tout en s’adaptant aux nouvelles donnes de notre temps.
Réinventer, ensemble, nos modes d’engagements
Nous lançons alors un appel, à toutes les bonnes volontés qui, comme nous, croient encore à l’avenir d’une démocratie qui continuera d’assurer le Nous à tous nos concitoyens, et constituera le socle qui évitera « l’archipélisation » définitive de notre société. Retrouvons-nous pour réinventer, ensemble, nos modes d’engagements afin d’offrir à chacune et chacun, quels que soient son origine, son âge, sa profession, la possibilité d’être un acteur toujours plus concret du changement. Prenons notre part, plus activement, aux grands débats qui traversent notre société. N’en soyons plus de simples spectateurs. Sortons de la facilité dans laquelle nous sommes trop souvent enfermés pour nous astreindre à proposer des solutions concrètes aux problématiques de nos concitoyens.
C’est au prix des efforts difficiles que nous saurons fournir – car il n’est jamais simple de se remettre en question – que nous saurons participer plus activement que jamais à la recherche de solutions démocratiques aux enjeux de notre époque. Car, nous en sommes persuadés, la réponse à la crise démocratique que nous traversons ne se fera pas sans les corps intermédiaires.