Par Patrice Huiban – Article paru dans Les Echos, le 15 février 2024.

Le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, vient d’annoncer 32 milliards d’euros supplémentaires sur cinq ans pour la santé. Pourtant, les dysfonctionnements de notre système de soins ne relèvent pas d’un manque de ressources financières, mais d’une mauvaise gestion de l’argent public. La France est ainsi la championne d’Europe des dépenses de santé, avec plus de 11 % du PIB devant l’Allemagne, mais avec 30 % de soignants en moins et 30 % d’administratifs en plus dans ses hôpitaux… Il faut donc prendre des mesures structurelles.

Vingt ans après son apparition et notre entrée dans l’ère numérique, la carte Vitale reste une carte bancaire publique qui n’est pas du tout sécurisée. Contrairement au passeport ou à la carte d’identité, qui nécessitent un renouvellement périodique avec un face-à-face avec l’administration sur la base de pièces probantes et avec la prise de données biométriques, la carte Vitale peut être obtenue par correspondance et sans limite de validité. Dans les années 2000, le gouvernement en place a mis fin à l’obligation de garde des médecins libéraux. Ces derniers n’ont plus de véritables contreparties à donner au conventionnement avec l’Assurance Maladie, qui leur assure pourtant l’essentiel de leurs revenus.

Si le Premier ministre a évoqué l’idée de restaurer les obligations de garde pour les médecins libéraux, ce conventionnement reste aujourd’hui essentiellement à sens unique. Contrairement à la logique d’un contrat classique, qui répartit de façon équilibrée les droits et les devoirs entre les contractants, le conventionnement avec l’Assurance Maladie ne pose plus d’obligations aux médecins libéraux en dehors des tarifs fixés par la convention, tarifs qui peuvent néanmoins faire l’objet de dépassements d’honoraires en s’installant en « secteur 2 » pour certains. Cela est d’autant plus surprenant que la plupart des autres professions de santé rémunérées par l’Assurance Maladie – infirmiers libéraux, pharmaciens ou kinésithérapeutes par exemple – sont soumises à des contraintes d’installation et/ou de garde.

Pour assurer une meilleure permanence des soins sur tout le territoire, il conviendrait de conditionner le conventionnement des médecins libéraux les six premières années d’exercice à une installation dans des zones sous-dotées et au rétablissement d’une obligation de garde avec, en contrepartie, une forte augmentation du tarif de la consultation, un passage aux urgences coûtant en moyenne 250 euros à la collectivité.

Cela serait d’autant plus légitime que nos médecins ne sont pas les premiers bénéficiaires de la manne financière des dépenses de santé avec un tarif de la consultation fixé à 26,50 euros, contre 40 euros environ en moyenne dans l’Union européenne. Si nos médecins arrivent à compenser, c’est en travaillant plus que leurs confrères étrangers pour se retrouver dans la moyenne continentale des revenus de leur profession.

Contrairement à beaucoup de pays développés, notre dossier médical n’est toujours pas partagé entre les professionnels de santé. Si « Mon espace santé » a été créé, il n’est pas du tout opérant, puisque son renseignement est laissé à l’appréciation des praticiens.

Ce non-partage d’informations génère énormément de gaspillages, estimés à 10 % de plus en France que la moyenne OCDE, soit près de 30 milliards d’euros par an ! Ce cloisonnement de l’information médicale est même dangereux pour les patients lorsqu’ils arrivent aux urgences, ce qui occasionne des morts évitables chaque année. Par conséquent, il faut que les praticiens de la ville et de l’hôpital remplissent le dossier médical partagé – dont la sécurisation doit, bien entendu, être absolument garantie, sous peine de déconventionnement avec l’Assurance Maladie, la politique incitative ayant montré, là comme pour l’installation et les gardes, ses limites.

Au total, il convient d’avoir le courage de s’attaquer aux racines des problèmes qui affectent notre système de santé. Il est inadmissible d’avoir une telle dégradation de la qualité des soins dans notre pays avec un tel niveau de ressources prélevées sur les revenus des Français, ménages et employeurs, au détriment de leur pouvoir d’achat et de l’emploi.

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