Par Thierry Derez (PDG de Covéa)Jean-Hervé Lorenzi (chroniqueur | président du Cercle des économistes)Olivier PASTRÉ (professeur à l’université de Paris-VIII) – Chronique parue dans Les Echos le 13 mars 2024

L’intelligence artificielle est en train de bouleverser notre planète. Les différences entre celle-ci et les précédentes révolutions industrielles sont au nombre de trois : l’IA se développe à un rythme continûment exponentiel et non pas par paliers ; l’IA ne touche pas que la production, car elle affecte surtout les métiers immatériels (banque, assurance, conseil…) ; l’IA marginalise l’Europe par rapport à ses principaux concurrents qui ont construit des barrières à l’entrée de plus en plus difficiles à franchir.

Les conséquences de cette nouvelle révolution industrielle sont majeures : celle-ci risque d’accroître considérablement les inégalités ; elle fait intervenir de nouveaux acteurs parfois non ou mal régulés et bouleverse ainsi les conditions de la concurrence ; elle pose des problèmes éthiques et démocratiques radicalement nouveaux.

Dans ce nouveau contexte, le plus inquiétant dans notre pays, c’est la sous-estimation du phénomène qui ramène la France au rang de véritable pays sous-développé, exportant des matières premières (les intelligences) et important les produits finis.

Face à ce défi, le mutualisme et la coopération ont véritablement une carte à jouer. Les principes de l’IA sont, en effet, dans les gênes mêmes de ces deux mouvements : la priorité à la décentralisation qui a fondé les mouvements mutualistes et coopératifs au XIXe siècle ; la supériorité d’une approche « bottom-up », la base et non le sommet devant être l’initiatrice de toute réforme ; et la recherche, parfois difficile, des principes de solidarité en sont la preuve évidente.

Mutualisme et coopération se doivent donc a priori de « faire leur miel » du développement de l’intelligence artificielle. Cela n’est toutefois possible qu’à un certain nombre de conditions qui ne sont aujourd’hui qu’imparfaitement remplies.

En premier lieu, en ne cautionnant pas la mise en œuvre de fausses bonnes solutions que certains appellent de leurs vœux, comme l’idée d’un moratoire même temporaire sur l’IA, tout blocage du progrès technique se révélant à terme contre-productif comme l’a montré l’histoire des XIXe et XXe siècles.

Plus fondamentalement, l’utilisation de l’IA comme véritable terreau du développement du mutualisme et de la coopération passe par au moins quatre voies.

D’abord par la prise de conscience de l’ampleur du phénomène : il y a vraiment « le feu au lac ». Ensuite, par la construction d’une réponse collective à ce défi : mutualistes et coopérateurs agissant trop souvent seuls, et métier par métier ; de même par une poursuite et un approfondissement des mécanismes de décentralisation : la déconcentration ne suffisant plus, il faut aller plus loin. Enfin, par un effort sans précédent de formation des personnels à cette nouvelle révolution industrielle : de nombreux efforts ont déjà été accomplis, mais, dans ce domaine, il faut passer la surmultipliée.

Ne boudons pas notre plaisir : l’IA peut être une chance pour notre pays. Le mutualisme et la coopération peuvent et doivent être les acteurs moteurs de cette transition numérique dont ils sont les premiers à pouvoir bénéficier. Reste toutefois, pour atteindre cet objectif, à passer des intentions aux actes. Et le plus vite possible.

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