Article de Delphine Tanguy, paru dans la Provence, le 17 février 2025

Dépistage de cancers, vaccins : par méconnaissance, des millions de Français négligent ces outils de prévention. À Marseille, depuis 2022, une équipe de l’Hôpital européen va à la rencontre de ces éloignés du soin.

« Le plus compliqué, c’est d’entrer. » Même si ce jeudi matin, les interphones de la rue Lucien-Rolmer, dans le 3° arrondissement de Marseille, ont tendance à sonner dans le vide, Hamida Moussa et Assadi Mgomri ne se découragent pas : chaque jour, cette infirmière et ce médiateur en santé vont à la rencontre des habitants d’un micro-quartier – aujourd’hui, un bout de Saint-Lazare (3°). Leur mission tient en deux mots, floqués dans le dos de leurs blousons : « Parlons santé« . « Bonjour, nous sommes les médiateurs de l’Hôpital européen !’ Un couple d’octogénaires les invite à entrer. Et c’est comme ça, autour de la table basse du salon, que la voix douce de Hamida va peu à peu les amener dans le cœur du sujet : ont-ils une carte Vitale, une mutuelle ? Prennent-ils des médicaments ? De quand date le dernier rendez-vous de gynécologie de Madame ? « En 2000, je crois », réfléchit la vieille dame. « Ça fait longtemps quand même« , sourit la jeune femme.

Négligeant les courriers invitant à se faire dépister, il faut donc aller les chercher, et même, « les coacher ». C’est « la stratégie du dernier mètre ».

Par manque d’informations, à cause de la complexité administrative ou de la numérisation des démarches, de difficultés économiques ou de la barrière de la langue, de négligence ou de méfiance, des millions de Français ne recourent pas aux dispositifs de prévention auxquels ils ont le droit.

Les inégalités sociales et territoriales constituent à ce titre un « déterminant important de l’accès aux soins et du niveau de santé des populations« , comme le rappelle Anne Dutrey-Kaiser, coordinatrice du projet Corhesan, imaginé depuis l’Hôpital européen par un infectiologue, le Dr Stanislas Rebaudet.

« Aller vers » est son credo : durant la pandémie de Covid, cette démarche s’était traduite en unités de dépistage et de vaccination mobiles, livraison de colis alimentaires pour les personnes malades à l’isolement.

Elle se poursuit aujourd’hui, dans le même esprit : chaque jour, des binômes (infirmières, médiateurs, habitants bénévoles) vont à la rencontre des Marseillais de l’hypercentre, faire du porte-à-porte, pour les sensibiliser au rattrapage vaccinal, mais aussi au dépistage de trois cancers (sein, col de l’utérus, colorectal) pour lesquels l’Assurance maladie organise des campagnes de prévention auxquelles une grande partie d’entre eux ne répondent pas. « Or, ici, ce n’est pas en raison d’un désert médical« , pointe Dorothée Balma, cadre de santé à l’hôpital, coordinatrice de Corhesan.

Encore méconnu, le travail de médiateur en santé réclame de vraies qualités humaines, parfois la maîtrise de référents communautaires ou d’une langue étrangère (ici, le comorien ou l’arabe) ainsi qu’une formation à l’entretien motivationnel.

« C’est une manière d’écoute basée sur l’empathie. En comprenant les difficultés, les peurs exprimées par chaque personne, on ajuste notre réponse« , développe Manon Chalindar, médiatrice à Belsunce et Noailles.

Parfois, il faut juste glisser le bon numéro de téléphone, ou expliquer le déroulement d’un examen médical ; parfois, il faut accompagner la personne le jour de son rendez-vous. L’équipe de Corhesan est convaincue que cette démarche, au plus près de l’humain, est la clef d’une politique de santé publique efficace.

Financée par l’ARS Paca, l’Institut national du cancer, la CPAM 13, la Ville de Marseille et divers partenaires privés, elle fait l’objet d’études qui en évalueront l’efficience « sur le temps long ». Elle pourrait alors être reproduite, et adaptée, à de nouveaux territoires en France.

Share This