Extrait d’un article du Monde du 23/10/20 :

« Les contenus qui mettent en doute la Shoah seront désormais retirés de facebook. » Et l’article cite ensuite Marc Zuckerberg qui l’a annoncé le 12 octobre : «J’ai eu du mal à arbitrer entre la défense de liberté d’expression et les conséquences de la minimisation et du déni de l’Holocauste. Ma pensée a évolué quand j’ai vu les données sur la hausse des violences antisémites … Tracer la ligne entre ce qui est une parole acceptable ou pas n’est pas chose facile, mais au vu de l’état actuel du monde, je crois que c’est le bon équilibre. »

Je dois avouer que la lecture de cet extrait de déclaration m’a terriblement énervé !

Non que je pense acceptable de nier la Shoah, bien au contraire. La lutte contre le négationnisme et l’antisémitisme plus globalement ne peut pas, ne doit pas être privatisée : elle doit être au cœur même de nos démocraties, engager tous les citoyens ; c’est un combat qui doit interroger nos consciences collectives et individuelles.

Que Marc Zuckerberg décide seul, avec ses règles à lui, « au vu de l’état actuel du monde », de dire « le bien » dont il serait le juge éclairé ouvre la porte aux pires totalitarismes.

L’homme n’est pas personnellement en cause et je n’ai pas d’avis sur sa prétention à diriger le monde mais il est le symptôme d’une perversion de la démocratie !

Comment admettre qu’un seul individu décide, pour nous, de ce qui est ou pas acceptable ! Que deviennent alors les institutions qui font la démocratie – parlements, justice – si un seul fait la loi ?

De quel DROIT la fait-il ? Au sens le plus fort et le plus originel du terme.

Je passe sur les arguments des néo libéraux qui vont du « droit de sa réussite » au « risque bien supérieur de dérive totalitaire si l’Etat se mêle de la question ».

La discussion de ces arguments relève d’un débat sur la conception de l’homme en société et des modes de régulation de leurs interactions qui dépasse de loin le cas de Facebook.

Du point de vue des démocrates sincères (de toutes options), il est en revanche inconcevable que des individus s’arrogent des droits qui engagent leurs concitoyens sans leur consentement.

A ce stade, la question de la nature de cet « engagement » se pose.

En quoi Facebook nous engage-t-il ? A quoi et pourquoi ?

Pourquoi ne pas considérer Facebook comme un service que je suis parfaitement en droit d’utiliser ou pas ?

S’il n’est qu’un service, qu’une boutique dans laquelle j’entre de mon plein gré, pourquoi me mêler de ce que le patron tolère ou pas ? Si je ne n’y trouve pas ce que je cherche, si l’accueil ne me convient pas, je ressors et on n’en parle plus.

Mais la question ne se pose pas aussi simplement parce qu’en réalité je ne sais pas ce qu’il y a derrière les rayons. Je ne sais pas comment les produits sont fabriqués, en l’occurrence comment les algorithmes travaillent. Je ne connaîs rien de leurs présupposés, de leurs biais, de leurs impacts sur ma relation avec l’outil (ce qu’il me propose comme contacts, comme pub, ce qu’il admet de moi ou refuse, à qui il me recommande ou pas …). Et je ne sais pas avec quoi et comment il gagne de l’argent sur mon dos.

D’un point de vue « libéral », cette dissymétrie d’information est intolérable.

D’un point de vue démocratique, dès lors que les citoyens le décideront, elle deviendra illégale : alors décidons-le !

Bannissons ces zones de non-droit que sont les fabriques d’algorithmes, comme nous avons décidé de bannir le travail des enfants (et commencé à le faire).

Sur ce plan, nous pouvons engager la bataille en réunissant tous ceux qui partagent des convictions démocratiques sincères, tous ceux pour lesquels la loi est, notamment, le rempart contre la soif de pouvoir et d’argent des puissants.

Par Christian Oyarbide.

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