Tribune de Jean de Kervasdoué parue dans Le Point le 7 octobre 2024

Au bouillonnement d’initiatives sur le terrain répond la suffisante chape de plomb des responsables de l’État et de l’Assurance maladie.

La semaine passée se tenait à Lyon un premier évènement organisé par le collectif « Pour un nouveau Grenelle de la santé ». Il était suivi par une seconde manifestation, à Chamonix cette fois, où se tenait l’annuelle « Convention CHAM », organisée depuis 15 ans par le Professeur Guy Vallancien qui, au fil des ans, a créé un très recherché « Davos » français de la santé. S’y croisent pendant deux jours plus de 500 acteurs représentants les professions et les institutions multiples de ce monde aux nombreuses parties prenantes. Le premier colloque cherchait : « Quels leviers pour mieux soigner ? » ; le second proposait de « Repenser les métiers de la santé » pour, notamment, faire face à la révolution technologique mondiale et au choc démographique français dû au vieillissement de la population.

Dans les deux cas, le foisonnement et la richesse des initiatives locales étaient manifestes. Les acteurs de ce monde se souviennent encore que, pendant l’épidémie COVID, ils ont pu innover, expérimenter, agir en faisant fi des barrières professionnelles. Ainsi un infirmier créait et dirigeait un grand centre de vaccination ; le public et le privé travaillaient ensemble pour répondre aux demandes urgentes des patients. Depuis, poussés par des soignants, des élus locaux et des associations de patients, la volonté d’entreprendre demeure et avec elle naît la frustration quotidienne qui vient de l’impossibilité de répondre localement aux demandes clairement analysées des patients. Il ne s’agit pas tant d’argent que de carcan juridico administratif qui ne permet d’innover que quand l’administration centrale donne son blanc-seing après une longue procédure. Plus tard, expérience faite, ces innovations s’arrêteront le plus souvent là car leur généralisation remettrait en cause un pilier juridique ou financier du système. Si bien que, paradoxalement, la possibilité d’innover devient le prétexte pour ne pas réformer. « La bureaucratie est la mort de toute action », disait déjà Albert Einstein…

A ce bouillonnement du terrain répond la suffisante chappe de plomb des responsables de l’Etat et de l’assurance maladie. Tout va bien ! Pourtant le 30 mai 2024, le Sénat estimait que le déficit de l’assurance maladie ne sera pas de 10,8 milliards d’euros comme il était annoncé dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) à l’automne 2023, mais de 16,6 milliards ; les prévisions de déficit pour 2025 (17,1 milliards) et 2026 (17,5 milliards) ne rassurent guère, pourtant ce financement par la dette n’est pas suffisant pour répondre aux difficultés d’accès aux soins de beaucoup de Français, il ne permet pas non plus de réduire les inégalités de traitement … Rien. Contrairement aux propositions des autres acteurs, il n’y eut aucune réforme structurelle évoquée par nos responsables administratifs (on a du mal à utiliser le mot de « gestionnaire ») et politiques.

Pourtant, Guy Valencien rappelle à Geneviève Darrieussecq, la toute fraîche Ministre de la santé, que « l’on claque en France dans ce domaine un pognon de dingue (250 milliards d’euros) … ». Il réaffirme que des réformes structurelles sont possibles. « Il y a 2,1 lits d’hôpitaux pour 1000 habitants en Suède et 5,8 en France, pourtant l’espoir de vie en bonne santé est de 72 ans en Suède alors qu’il vient d’atteindre à peine 65 ans en France… Il y a des petits hôpitaux où il faut fermer vite les lits de chirurgie … La mortalité est de trois supérieure dans les services où l’on fait moins de 10 actes d’un type donné par rapport à ceux qui en font plus de 50. » Ce à quoi la nouvelle Ministre répond qu’il existe des hôpitaux de proximité, ce qui n’est pas vraiment une nouvelle, mais surtout, moment de vérité, remarque que la fermeture de services « n’est jamais entendue par les élus locaux et la population… Je vous avoue avoir un peu de mal à faire adhérer un maire », dit-elle encore. On les comprend ces maires qui défendent leur hôpital dans lesquels ils ne se font pas souvent soigner ; c’est en effet le plus gros employeur de leur ville et un atout important pour toute commune qui souhaite attirer des entreprises. Quant à la population qui ignore ces statistiques, lui a-t-on montré que ces services étaient dangereux, coûteux et en sursis, car ils ne trouveront plus de spécialistes pour venir y travailler. En conséquence, il est urgent de proposer un autre type de permanence des soins dans des maisons médicales pluridisciplinaires répondant aux urgences 24 heures sur 24. On peut aussi ajouter que l’hôpital ne disparaîtra pas, car il continuera d’accueillir des personnes âgées dans ses services de médecine, dans l’« hôpital de proximité » donc. En revanche, pour les soins spécialisés et notamment la chirurgie, il faudra être pris en charge par des équipes formées aux dernières innovations dans des établissements qui, en France, ne sont jamais bien loin et où le séjour est court (moins de 5 jours).

En matière de sécurité publique, la distorsion de perspective est étonnante : nos politiques tolèrent que des milliers de décès évitables se produisent chaque année dans certains hôpitaux tandis qu’ils interdissent des produits phytosanitaires à la toxicité infime, voire nulle. Il est vrai que dans le premier cas on peut charger le destin.

Par ailleurs, alors que l’avenir du Gouvernement Barnier est incertain, est-il de son intérêt de prêcher une prudence médicalement et économiquement coûteuse (les dépenses d’assurance maladie représentent 2,5 fois les recettes d’impôt sur le revenu) ? Faut-il rappeler que le Gouvernement de Pierre Mendès France a duré sept mois et dix-sept jours et compté bien plus que beaucoup d’autres gouvernements qui ont eu le temps pour eux.

Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la CNAM, ne semblait pas, elle aussi, taraudée par l’urgence de réformes structurelles : « Quand on se compare aux autres pays, on se console. …Vous avez beau regarder tous les systèmes de santé, il n’y a pas de système de santé parfait … pour les problèmes structurels, il faut convaincre le terrain. » Quant aux mesures concrètes on n’aura eu le droit de sa part qu’« au virage de la prévention » (Laquelle ? Comment ? Pour quel bénéfice ?) et à la maîtrise, certainement justifiée, des arrêts maladie qui ont augmenté de 8% en 2023 ; mais pourquoi et qui les a laissés filer ?

Quant à la représentante de l’Etat, Marie Daudé, la directrice générale de l’organisation des soins (DGOS) au Ministère de la santé, elle nous honorera d’un discours de la même eau : transparente. En parlant des nouveaux métiers, elle déclare qu’« il faut que les professionnels s’approprient ces changements et que les patients s’y retrouvent … Il faut que tout cela (les nouveaux métiers) s’intègre dans le parcours (de soins) et que le patient s’y retrouve … La transformation opérationnelle des métiers doit être au service des patients … ». Certes, il est préférable que les patients et les professionnels de santé « s’y retrouvent », mais aucun indicateur chiffré ne fut donné, pas plus que ne furent précisément évoquées les adaptations des métiers de la santé aux bouleversements de l’intelligence artificielle. Quant aux contrôles des dépenses publiques : rien. Pourtant si l’on ajoute le déficit des hôpitaux (2 milliards d’euros), à celui de l’assurance maladie on avoisinera les 20 milliards de déficit en 2024. Il n’y eut pourtant aucun sentiment d’urgence, aucun discours mobilisateur qui apparut dans leurs propos.

Ceci pose la question des responsabilités. Certes les politiques doivent rendre des comptes au Parlement mais, depuis un demi-siècle, je n’ai jamais vu exiger la démission d’un Ministre pour déficit inattendu. Quant aux hauts fonctionnaires dont certains ont une responsabilité de gestion, ils passent des cabinets ministériels aux directions d’organismes publics ou d’administrations centrales en attendant d’aller finir leur vie professionnelle dans les corps de contrôle, à la Cour des comptes ou au Conseil d’état pour bons services rendus à la Nation.

Responsables de quoi ? Devant qui ? Il semble que la consigne soit « beaucoup de précaution et pas de vague » ; en effet, « les professionnels doivent s’y retrouver » …

Jean de Kervasdoué

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