Article de Jean-Bernard Gervais, paru dans les Actualités professionnelles, le 23 mai 2024
Quatre ans après l’entrée en vigueur de la réforme de l’entrée en étude de santé (REES) et quatre mois après que le Conseil d’état a demandé au gouvernement de revoir sa réforme, des associations étudiantes (association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), association nationale des étudiants sage-femmes (ANESF), fédération nationale des étudiants en kinésithérapie (FNEK) et Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (UNECD)) viennent de rendre publique une enquête auprès d’étudiants ayant pu vivre au moins une année de parcours d’accès spécifique santé (PASS) ou de licence accès santé (LAS). Au total, 13 000 étudiants ont répondu à cette enquête, qui dresse un tableau plutôt sombre de cette réforme du premier cycle des études médicales.
Stress, abandon
En préambule, les associations étudiantes rappellent que « la réforme d’entrée dans les études de santé avait pour objectif de réduire les risques psychosociaux. Trois années plus tard, le constat est tout autre. La pression, et le rythme de ces études poussent des étudiants et étudiantes à envisager l’arrêt de leurs études ».
Ainsi, 81 % des personnes interrogées sont plus stressées depuis leur entrée en PASS/LAS. Pire, 42 % des jeunes en PASS/LAS ont envie d’arrêter en cours d’année, et 36 % d’entre eux se sentent isolés. La REES, rappellent les associations, avait pour ambition de créer deux voies d’accès aux études de santé : l’une via le PASS, en première année, et l’autre après une licence plus généraliste comportant une mineure santé, la LAS.
Échec de la LAS
Là encore, le succès n’est pas au rendez-vous : 43 % des jeunes en deuxième année de santé ressentent une différence de niveau entre les étudiants qui étaient en PASS, et ceux qui étaient en LAS, au détriment des anciens étudiants en LAS. « La LAS avait pour ambition de permettre à des étudiants et étudiantes de s’inscrire dans un réel parcours universitaire, en lien avec un projet d’orientation pour une possible poursuite d’études dans une licence disciplinaire en cas de non-accès en médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie rééducation (MMOPK). Le choix par dépit de cette voie d’entrée dans les études de santé ne permet ni cette plus-value de la construction d’un parcours d’orientation, ni une poursuite d’études sereine. La voie LAS ne comporte qu’une minorité d’Unités d’Enseignement en santé en comparaison avec la voie PASS », se désolent les associations étudiantes.
Voie unique
Aussi, regroupées au sein de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), ces associations militent pour une voie unique d’entrée dans les études de santé composée d’une licence et harmonisée sur l’ensemble du territoire. Les associations proposent également l’intégration de la filière kinésithérapie dans les études de santé – ce qui n’est pas le cas pour le moment – mais aussi un enseignement comprenant autant d’unités d’enseignement santé que d’unités d’enseignement généralistes (droit, histoire, sociologie…) : « Le modèle ici proposé inclut au sein de sa maquette des enseignements santé et des enseignements de son parcours disciplinaire choisi par l’étudiant ou l’étudiante à l’issue du baccalauréat, qui évolueront au cours des années », résument les associations.
Le problème des prépas privées
Les associations en profitent pour dénoncer la multiplication des « prépas » privées, des écoles de préparation qui « ont prospéré grâce à la vulnérabilité des étudiants et étudiantes […] ces établissements promeuvent des programmes coûteux, dépassant en moyenne les 5 000 € par an pour le PASS actuel. En plus de ces pratiques douteuses, les prépas focalisent l’attention sur l’accès aux études de médecine, négligeant les autres filières de santé et renforçant ainsi une vision centrée sur la médecine dans le système de santé ».
Une alternative aux prépas privées a vu le jour depuis le début des années 2000 : il s’agit des tutorats santé. Ils offrent des services de préparation gratuits ou à prix réduits « d’une qualité équivalente, voire supérieure, à celle des institutions privées ». Pour leur développement, les associations demandent un soutien de l’État : « Cependant, il est parfois difficile pour ces tutorats de s’établir, surtout au niveau des lycées, faute de soutien adéquat de la part des rectorats. Ils reçoivent annuellement un Agrément ministériel spécifique aux tutorats, mais un soutien global est nécessaire pour les faire connaître auprès de toutes et tous et leur permettre une activité optimale. »
Contacté par Univadis France, Cyprien Haffner, vice-président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), assure pour sa part que la proposition de licence unique en études en santé qu’ont formulé les associations étudiantes ont été réalisées « avec l’ensemble des acteurs concernés ». Vont-elles pour autant déboucher sur des mesures concrètes ? « Sur la question de l’instauration d’une licence unique en santé, les doyens n’ont pas de position ferme. Nous avons aussi rencontré le ministère de la Santé et les présidents d’universités. Des groupes de travail vont être mis en place pour que nous puissions travailler tous ensemble sur cette question. » Pour l’heure, ajoute-t-il, aucun calendrier n’a été proposé, au sujet de la mise en place de ces derniers.
Cela pourrait se passer de commentaire : nous ne sommes pas prêts de voir s’inverser la courbe de la démographie médicale.
Et pourtant, la proposition d’une licence unique en santé qui est déjà ancienne, permettrait d’abord d’élargir le profil des étudiants recrutés (comme le revendique la FAGE) ; ensuite, les dernières réformes n’ont fait que reporter en deuxième année l’effort à faire pour ceux qui ne viennent pas de la filière « spécifique santé ».
Une dernière remarque : on ne peut pas dire que la réforme des études médicales occupe le devant de la scène médiatique, alors qu’elle est décisive pour l’avenir de notre système de santé.