par Maximilien Rouer – Article publié dans Les Echos le 30 octobre 2023

La directive européenne qui encadre le reporting extra-financier, la « Corporate sustainability reporting directive » (CSRD), peut être mal vécue par de nombreux dirigeants ou actionnaires d’entreprises qui n’en percevraient qu’une pression technocratique de plus, certains allants jusqu’à y lire un dogmatisme écologique et social injustifiable de Bruxelles. Mais réduire la directive CSRD à ces éléments serait une erreur stratégique.

Il faut, au contraire, y voir un outil de préparation des entreprises à l’entrée dans un monde toujours plus vulnérabilisé par le dépassement des limites planétaires. En effet, cette norme peut les aider à préparer la transformation de leur modèle économique. Elle permet de se demander si les risques, les impacts et aussi les opportunités environnementales, sociales et de gouvernance sont correctement intégrés dans les stratégies. Ces sujets de durabilité sont-ils revus par les plus hauts niveaux de la gouvernance de l’entreprise, et intégrés dans les processus de management, de contrôle des risques et de suivi de la performance ?

La CSRD n’est que le début d’un processus de transformation des entreprises qui, pour leur propre survie, vont devoir massivement et radicalement évoluer d’un modèle économique de croissance volumique relativement hors sol, prédateur des ressources et sans égard pour les externalités négatives engendrées, vers un modèle régénératif. La CSRD est donc un révélateur de crise dont la plupart d’entre nous ne pouvons que constater les effets, sans avoir eu beaucoup de prises sur leurs causes : selon les territoires, le monde a basculé avec plus de sécheresses, de canicules, de tempêtes, d’inondations, aux conséquences sociales et sociétales de mieux en mieux mesurées – justement.

Alors, oui, aujourd’hui, l’Union européenne impose une directive aux entreprises sur les questions environnementales et sociales : il faut y voir une prévenance et un soin. Celle-ci leur demande de mieux comprendre leurs impacts, de mieux identifier leur part de responsabilité dans l’avènement de ce monde en crise permanente pour mieux s’y préparer.

Qu’on le veuille ou non, le monde d’aujourd’hui – et encore plus de demain – sera instable, volatil, incertain et toujours plus complexe. Il faut rendre les entreprises plus aptes à faire face à ce nouveau contexte. Elles doivent, pour mieux se connaître, se poser des questions qu’elles ne s’étaient pas posées, explorer des zones inconnues.

Ainsi la directrice générale de l’ETI Mustela, Sophie Robert-Velut, a décidé d’arrêter la vente d’un de ses best-sellers que sont les lingettes. De même le directeur général de Nexans, Christopher Guérin, a choisi de ne plus livrer les 75 % de clients les moins performants notamment en carbone. Quant à la directrice générale de Decathlon, Barbara Martin Coppola, elle teste sur trois pays l’évolution de son modèle économique vers la location, qui réduirait d’un facteur 10 son impact par euro de chiffre d’affaires. Ces exemples, isolés, relèvent d’une responsabilité qui sera de plus en plus partagée. Le statu quo sous pression des limites planétaires se fissure de partout pour qui accepte de voir.

La CSRD est un outil formidable pour évaluer les vulnérabilités et les dépendances de l’entreprise, identifier les nouvelles opportunités que dessinent les exigences de durabilité. Elle la pousse à regarder au-delà de ses activités directes et à travailler avec sa chaîne de valeur : c’est là l’outil qui manquait pour libérer l’intelligence collective et la coconstruction d’écosystèmes vertueux. Dans la compétition mondialisée, et sous pression des limites planétaires, c’est une belle chance pour l’Europe.

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