de Jean-Marc Vittori – Article publié dans Les Echos, le 3 octobre 2023
Idées
En France comme dans les autres pays avancés, le nombre de naissances baisse inexorablement. L’écoanxiété renforce les leviers de la dénatalité.
Toujours moins de bébés. En France, 1.900 enfants sont nés au mois d’août 2023. Sur l’ensemble de l’année, le nombre de naissances risque de passer au-dessous de 640.000 pour la première fois depuis… 1944. Il a reculé de près de 20 % en une décennie.
Entamée en 2015, la chute des naissances devient de plus en plus rapide. La France est loin d’être la seule à vivre cette récession démographique. La Bulgarie a vu sa population passer de 9 à 7 millions en un quart de siècle. Le Japon a perdu près d’un million d’habitants l’an dernier.
Le Brésil a désormais un taux de fécondité inférieure à celui de la France. Au rythme actuel, l’Europe pourrait perdre la moitié de sa population d’ici à 2070. L’Asie et les Amériques enregistrent aussi un taux de fécondité trop faible pour maintenir leurs populations.
L’accélération récente du déclin des naissances donne corps, si l’on ose dire, à une hypothèse jusque-là farfelue : un krach démographique. Une chute brutale du nombre de bébés comme il n’y en a jamais eu en temps de paix.
En la matière, il faut certes se méfier des prévisions catastrophistes. Dans un pamphlet publié en 1939, l’apôtre nataliste Fernand Boverat estima que le nombre des naissances en France pourrait descendre à… 127.000 en 1985, six fois moins que ce qui a finalement été observé ! Mais il est salutaire de se poser des questions.
L’épidémie de Covid a bien sûr brouillé les cartes. Certains ont cru que les couples confinés chez eux en profiteraient pour batifoler joyeusement et engendrer ainsi un baby-boom. C’est l’inverse qui s’est produit.
En France, neuf mois après le confinement du printemps 2020, le nombre de naissances a dévissé de 12 % par rapport à ce qui avait été observé à la même époque les années précédentes. Le rattrapage qui a suivi a été étonnamment faible : quand le nombre de naissances a culminé fin 2021, il a seulement rejoint le niveau d’avant-Covid.
La pandémie a provoqué d’autres effets plus difficiles à mesurer. Le vrai rattrapage se fera peut-être plus tard. L’interdiction des rassemblements a empêché ou décalé des rencontres fructueuses. Des femmes qui ont reporté leurs projets d’enfant sont devenues moins fertiles.
Il peut donc paraître périlleux de prévoir l’avenir à partir de ce qui s’est passé dans une période très particulière, comme le fit Boverat en prolongeant les tendances de l’après-Première Guerre mondiale. Sauf que… l’accélération du déclin des naissances dans le monde avait commencé avant l’arrivée du coronavirus.
Ce constat avait amené les économistes de la banque HSBC à jeter un pavé dans la mare l’an dernier. En supposant que le déclin amorcé avant la pandémie allait se poursuivre, ils ont calculé que la population mondiale pourrait culminer avant 2050 et non en 2086 comme le prévoient les démographes des Nations unies. Et que cette population pourrait revenir à moins de 5 milliards d’habitants en 2100 – la moitié de la prévision officielle !
Au cours des décennies à venir, les femmes seront sans doute mieux formées et plus nombreuses à travailler. Dans les pays émergents, la mortalité infantile devrait encore reculer. Les leviers les plus puissants du ralentissement des naissances resteront bien en action. L’âge de la mère à la naissance du premier enfant devrait aussi continuer à augmenter, limitant mécaniquement le nombre d’enfants qu’elle peut avoir au cours de sa vie.
Dans les pays avancés, le désir d’enfants semble avoir du plomb dans l’aile, même s’il est plus difficile à mesurer qu’un taux d’emploi ou un niveau de formation. Dans un sondage Ifop pour le magazine « Elle » publié l’an dernier, 13 % des femmes en âge de procréer disaient ne pas vouloir d’enfants, contre 2 % quinze ans plus tôt. Presque toutes invoquaient l’épanouissement personnel. Dans une société de plus en plus centrée sur l’individu, la vie collective d’une famille a moins d’attrait.
Deux autres causes pèsent sur l’envie d’avoir des enfants. La première est bassement économique. Le coût d’une garde d’enfant progresse plus vite que la moyenne des prix et des salaires. Aux Etats-Unis, les frais de scolarité ont augmenté deux fois plus que les prix à la consommation depuis trente ans. L’accès à un logement plus grand se complique, avec des prix qui ont flambé et des taux d’intérêt qui semblent durablement plus élevés.
La deuxième cause est plus nouvelle, et risque de persister. Pour faire bref, c’est tout ce qui tourne autour de « l’éco-anxiété », la peur des catastrophes environnementales. La multiplication des événements climatiques extrêmes (sécheresse, tempête, canicule, inondations…) et leur imputation à des changements inéluctables peuvent d’abord enclencher un refus instinctif de maternité et de paternité, comme les guerres.
Les craintes écologiques peuvent aussi amener une réflexion plus profonde sur l’opportunité d’avoir des enfants dans un monde qui détruit les conditions de survie de l’humanité. De manière plus concrète, la transition énergétique va nous amener à changer de comportement, voire à réduire notre consommation, dans trois domaines essentiels de la vie de famille : l’alimentation, le logement, la mobilité. Pourquoi, par exemple, rajouter des bouches à nourrir ?
Il est évidemment possible d’imaginer un scénario débouchant sur un babyboom, comme dans les années 1950. Mais au moins dans les pays avancés, l’hypothèse d’un krach des bébés devient de plus en plus plausible. Avec des conséquences tous azimuts, de l’équilibre des régimes de retraites à l’esprit d’innovation en passant par les équilibres climatiques.
La démographie, on n’y prête jamais assez attention !!