Pour défendre l’Hôpital public, il est essentiel de mener les bons combats. Pour défendre l’ESS, il est opportun de ne pas se tromper de combat.
Le combat pour l’Hôpital public est simple, il s’agit de voir rapportées toutes les « réformes » successives qui, depuis vingt ans, ont contribué à en démanteler les structures et, bien pire, à plonger l’ensemble de ses personnels dans une crise profonde.
Les hommages rendus ces derniers temps à ces personnels ne changent rien à l’affaire. Les raisons qui ont conduit le mouvement des urgences il y a plus d’un an et qui a gagné jusqu’aux hiérarchies médicales résident dans le manque de moyens et surtout dans la généralisation des méthodes du management libéral dans la gestion des femmes, des hommes et des établissements.
Il ne s’agit pas de distribuer des primes, de faire applaudir, de suspendre de nouvelles étapes de la ixième réforme. La crise autour du directeur de l’Agence Régionale de Santé Grand-Est annonçant la poursuite des réductions d’effectifs n’a fait que révéler la duplicité d’un pouvoir engagé dans une logique libérale. Le refus d’en finir avec la tarification à l’acte (T2A) et la conception des hôpitaux comme des centres de profits vont du fait de la crise du Covid19 aggraver considérablement la situation des établissements ; elle pourrait ainsi conduire ceux-ci à s’endetter pour assurer le versement des primes au cœur de la communication macronienne.
Dans ce contexte, la note de la CDC révélée par Mediapart https://www.mediapart.fr/journal/france/010420/hopital-public-la-note-explosive-de-la-caisse-des-depots montre, comme la sortie de Christophe Lannelongue, que le pouvoir hors la communication ne dévie pas de sa ligne ultra-libérale.
Il ne s’agit pas d’accabler ses rédacteurs. On a livré deux noms au public pour un ensemble composite dont apparemment aucun des contributeurs ne connaissait la version telle qu’elle a circulé.
Il y a des éléments intéressants dans ce travail, mais globalement les jugements portés par André Grimaldi, Brigitte Dormont, Pierre André Juven et d’autres qui dénoncent une note dangereuse, sont pour l’essentiel fondés.
Je ne ferai ici qu’évoquer la très curieuse proposition de recycler en hôpitaux flottants, des unités des croisiéristes auprès desquels la CDC est très engagée.
S’agissant des propositions de rapprochement des Hôpitaux publics des structures et établissements du secteur non-lucratif, relevant pour certains de l’ESS, elles pourraient être considérées comme positives. En tant que militant du CIRIEC qui plaide pour développer l’économie collective, c’est-à-dire pour la convergence Economie publique/ESS, je devrais m’en réjouir.
Mais deux observations doivent selon moi être avancées.
La première est le mode qui semble être choisi dans la note pour ce rapprochement : les partenariats-public-privé, les PPP. Ces procédures se sont révélées totalement néfastes pour le versant public et une commission sénatoriale dominée par la droite a parlé à leur propos de « bombes à retardement ». Dans le champ médical, l’Hôpital sud-francilien aura été un gouffre financier et un désastre technique. L’Hôpital public n’a pas besoin de telles aventures. En tout état de cause, avant d’envisager des partenariats, il faut être rétabli dans son équilibre, dans sa pérennité par l’assomption par l’Etat de ses responsabilités.
La seconde est que le secteur non-lucratif connaît des faiblesses, voire des dérives et ce n’est pas « traîner dans la boue » l’ESS que de les évoquer.
Si, comme le reconnaissait Ambroise Croizat, la Mutualité en tant que mouvement, a joué et continue de jouer un rôle important dans le dispositif de santé, bon nombre de ses établissements, centres de santé notamment, sont actifs, utiles nécessaires, en de nombreux territoires. Ils contribuent à l’accès aux soins de nombreux publics dont les difficultés vont s’aggravant avec la montée des inégalités et le problème récurrent des déserts médicaux. S’agissant en revanche des structures de type hospitalier, le bilan est plus partagé. Si réussites il y a, elles sont rares. La volonté de cession d’un établissement mutualiste de Grenoble au secteur hospitalier privé lucratif doit nous conduire à nous questionner sur la finalité de la stratégie de certains acteurs du secteur.
Par ailleurs, nous nous interrogeons de même sur la réalité ESS de certains autres acteurs du non-lucratif, de Fondations par exemple, dont le management relève plus des méthodes des grands opérateurs privés que l’émergence d’acteurs de la solidarité et de la démocratie sanitaire.
Ce sont ces acteurs dont beaucoup de mutualistes, de militants associatifs, voire de coopérateurs, qu’il s’agit de défendre et non pas de s’offusquer quand on ose dire que certains rois sont nus.
Ce sont ainsi les promoteurs et militants de ces initiatives repérées par Le Labo ESS dans sa Newsletter d’avril.
Que ce soit au sein des structures publiques que chez certaines entités banalisées de l’ESS, ce qui est au cœur des transformations auxquelles nous aspirons et que l’impasse et les prédations libérales rendent urgentes, c’est avant tout la démocratie. Démocratie sociale défendue par Alain Supiot https://www.college-de-france.fr/media/collections-de-livres/UPL6670766458633663704_Fiche_diffusion_LC_17_Supiot.pdf, démocratie économique radicale qu’appelle François Morin https://www.luxediteur.com/catalogue/quand-la-gauche-essayait-encore/ démocratie sanitaire telle qu’elle se révèle nécessaire dans la crise actuelle, libertés publiques et individuelles défendues par François Sureau, nous voyons bien que c’est à la confiscation du pouvoir par une classe de plus en plus réduite, mais de plus en plus puissante, de financiers et de dirigeants au service de leur logique qu’il s’agit de mettre un terme.
L’ESS, comme une Sécu qui retrouverait ses ressorts premiers, comme des services publics refondés peut être de ces « futurs présents » évoqués par Lucien Sève qui vient de mourir, peut être partie prenante à ces transformation.
Et vous vous faites quoi demain ?
Jean Philippe Milesy
Secrétaire général de l’Institut Polanyi
La santé ne doit pas, sous quelques formes que ce soit être livrée au « marché ».
Force est de constater que la plupart des acteurs de l’ESS se comportent comme de « bons capitalistes ».
Dans l’état actuel des choses, rien, mais rien n’est possible sans une « révolution » au sens noble du terme. Le capitalisme est antinomique avec le social, l’environnemental,, avec la justice, l’étique.
Au lieu de s’acharner chacun de son côté, il est urgent de se regrouper, de faire front commun pour un changement radical.
Oublions nos querelles de clocher, vite, mais vite et cette fois ci avec les bons acteurs, Proposons une autre société, une autre façon de consommer, une autre façon de produire.
Le peuple crève des hésitations des uns et des autres.
L’ESS se frotte les mains de voir la privatisation de la Sécu. Où était-elle lors de la lutte des hospitaliers ? Où était elle lors de la lutte pour préserver notre système de retraite solidaire ?
J’ose le dire : avec le gouvernement, avec le medef, avec la Cfdt !
Mais aussi avec tout ceux qui veulent prendre leur revanche sur le programme du CNR.
Réagissons et vite svp.
Je rebondis sur l’échange, pour intervenir dans le débat sur le rôle à venir des acteurs de l’ESS.
Nous sommes plusieurs à penser qu’entre un Etat techno-autoritaire et le Dieu marché, nous n’avons pas à choisir. Nous avons à inventer une alternative qui ne vienne au secours ni de l’un ni de l’autre.
Cela contraint l’ESS à faire de la politique. Mais cela n’est pas si simple de donner un contenu à cette idée.
Par exemple, quand notre pétition sur la distribution du vaccin anti covid appelle à donner la priorité aux plus vulnérables face à la pandémie, contre tous les nationalistes de droite ou de gauche, c’est cela faire de la politique. Cela renverse les critères d’évaluation d’une distribution utile. Dire, il faut nationaliser pour produire plus revient à ne pas choisir : plus pour qui ? dans quel objectif ? qu’est-ce que signifie la vulnérabilité ? comment l’éradiquer mondialement demain ? Toutes ces questions sont politiques, au sens premier du terme.
Oui, un nouveau monde est à inventer, un monde qui ne ressemble en rien à ce que nous avons jusqu’ici connu, c’est pour cela que je parle de « révolution ».
Un monde de paix, un monde qui met l’Humain au centre de tout ; avec des priorités comme le social, l’environnemental, l’équité, la justice fiscale, etc. …., tout le contraire du capitalisme.
Nombreuses sont les contributions des unes et des autres sur le sujet. Vingt organisations viennent de publier des propositions pour l’après crise sanitaire, d’autres s’expriment comme par exemple dans la revue le Fil des Communs.
C’est pour cela que je réclame des débats avec celles et ceux qui réfléchissent plus global