Tandis que l’Europe pourrait interdire aux vétérinaires l’usage d’antibiotiques majeurs si le Parlement européen suivait l’avis de la commission compétente en la matière et que de bonnes âmes françaises (1) enjoignent le Sénat de ne pas amender la proposition de loi n°236 qui sera débattue au Palais du Luxembourg à la fin de ce mois de septembre, il importe que les urbains, ignorant de ce que subissent les agriculteurs, entendent un témoignage.

Avant de le rapporter, soulignons que cette éventuelle future directive européenne conduirait à voir souffrir impuissants nos animaux de compagnie, à rendre économiquement impossible certains élevages (mortalité de plus de 80% de certaines zoonoses) et à transmettre à l’homme de nombreuses maladies, rien de moins. Quant au collectif d’associations de protection animale, la mise en œuvre effective de leurs revendications aurait pour conséquences la fermeture des parcs zoologiques, l’interdiction de la corrida comme de certains types de chasse, effectivement ce serait « historique », en attendant, voici l’histoire.

Ayant eu la chance d’intervenir au début de ce mois de septembre dans une assemblée générale d’agriculteurs tenue dans l’ouest de la France, à l’occasion des « questions – réponses », un agriculteur prit la parole. J’eu tout d’abord du mal à le comprendre car, pris par l’émotion, sa voix flottait et l’on sentait ses larmes monter, en outre ce que j’entendais me paraissait insensé. Une fois ma propre gêne surmontée, je me retournais pour découvrir un homme solide, grisonnant, d’une cinquantaine d’années et lui demandais alors de bien vouloir reprendre son témoignage que j’avais mal compris. Son voisin et ami, compatissant, le répéta à sa place et, incrédule, je partis d’un grand éclat de rire, rire aussi nerveux que compatissant.

Eleveur de 2600 porcelets, il nous racontait donc qu’il venait d’être taxé d’une amende de 96 000 € parce que 128 de ces 2600 petits cochons n’avaient pas de jouets ! Oui, il s’agit bien de jouets, de jouets pour petits cochons certes, mais bel et bien de jouets ; eux aussi, n’est-ce pas, doivent s’épanouir et ne pas être tout le temps dans les pattes de leur maman ? La directive ‘bien-être animal’ exige en effet pour les éleveurs de truies, et donc naisseurs de porcelets, un accès permanent à des matières «manipulables», si l’on peut utiliser cet adjectif comme le fait l’administration alors qu’il s’agit de quadripèdes, «mandipulables» eut été plus approprié, mais, quoi qu’il en soit, ces jouets devraient diminuer leur stress. Ainsi, en un clic, on trouve sur Internet (2) des boules et des balles dont certaines sont à mâcher. Allant de 4 € à plus de 40 €.
Elles ne sont donc pas particulièrement bon marché.

Comme, faute de jouets pour 5% d’entre eux, il s’agit de maltraitance animale et donc d’un délit, l’amande s’accompagne d’une inscription au casier judiciaire et toute récidive conduit à une interdiction d’exercer. L’inspectrice qui rédigea le procès-verbal le fit, dit-elle, « au nom de la démocratie » ! De la pauvre République peut-être !

Je ne connais pas la psychologie animale et j’ai quitté l’agronomie depuis trop longtemps pour savoir si une étude en double aveugle a permis de tester la qualité du jambon et des travers d’une première catégorie de porcs qui ont eu durant leur brève jeunesse la possibilité de jouer avec des objets « manipulables », comparée à une seconde catégorie de porcs : ceux qui en ont été privés. Toujours est-il que la directive ministérielle est précise et appliquée (3).

Les Parisiens rêveraient qu’il en soit ainsi des jeteurs d’immondices sur les trottoirs de la capitale comme des vélos et des trottinettes qui ne respectent à Paris aucune des règles du code de la route, mais ne rêvons pas ! Revenons à l’agriculture après nous être un instant interrogé sur ce que cette histoire pourrait avoir comme effet chez les parents démunis dont les enfants ne mangent pas à leur faim et n’ont pour jouets que de vieux chiffons et des boites de conserves.

Si ce fut l’information la plus inattendue de cette journée, ce ne fut pas la seule. Je découvrais qu’un maraicher dans une commune où il y a 120 personnes au chômage ne trouvait pas de main d’œuvre. Plus grave, il n’y a plus qu’un seul insecticide autorisé pour s’attaquer au taupin de la pomme de terre et il est peu efficace. Or cet insecte coléoptère, dont la larve a l’aspect d’un ver de deux centimètres, crée au stade larvaire des galeries dans les tubercules, détruit la récolte et surtout rend quasiment impossible d’exporter des semences, car si l’on trouve une seule larve de taupin le lot de pommes de terre est renvoyé à son expéditeur. Si en Hollande, on utilise certains produits phytosanitaires anciens et efficaces, non seulement ce n’est pas le cas en France, mais on impose des façons culturales qui vont conduire à abandonner cette production. Par ailleurs, toujours au cours de la même soirée, plusieurs témoignages évoquaient des dénonciations fréquentes de voisins pour des pratiques agricoles pourtant légales suivies de pression permanente et policière de l’administration.

Enfin, et peut-être le plus préoccupant, non seulement les agriculteurs ont perdu leur influence d’antan, mais l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), n’est plus A mais E. Il ne s’intéresse plus à la production agricole, celle qui a pour but premier de fournir des aliments sains, gouteux et bon marché. En effet, ceci passe au second plan car si l’on analyse les thèmes des programmes prioritaires (4) de cet Institut, ils ne touchent que l’agriculture sans « pesticide chimique », avec un focus particulier pour la vigne, (il est vrai grande utilisatrice de produits phytosanitaires) ou encore : cherchent à « cultiver et protéger autrement » pour « répondre à une demande sociétale forte ». La biodiversité est également privilégiée, remarquons que la réussite dans ce domaine est déjà remarquable si l’on en juge par la prolifération des taupins et des virus de la tomate qui ravagent les serres bios. Bien entendu, les OGM, la seule voie sérieuse pour limiter l’usage des produits phytosanitaires, n’est pas mentionnée.

Quant à la production, celle qui nous permet d’avoir de merveilleux produits de l’agriculture raisonnée, rien en dehors de l’agroécologie. Je n’en nie pas l’intérêt, mais il est limité et onéreux. Si la politique gouvernementale pousse les agriculteurs à rechercher des produits de niche, si j’en suis parfois moi-même amateur, ils ne représentent pas la demande de la majorité des consommateurs. Il ne s’agit pas de sondages d’opinion, mais d’achats effectifs, de marché. Les agriculteurs se trouvent donc placés devant des injonctions contradictoires : celles du gouvernement et celles du marché. Les producteurs de lait « bio » commencent d’ailleurs à découvrir qu’il peut y avoir dans ce domaine une surproduction.

Nul doute qu’avec une telle politique, la balance des paiements de l’agriculture va être rapidement déficitaire et il y a fort à parier que l’on se rendra compte trop tard des immenses services rendus par cette agriculture raisonnée qui a libéré les urbains des contraintes de la terre, tout en leur offrant des produits variés et bon marché, ce qui n’est pas le cas des produits « bios » entre 30% et 100% plus onéreux, alors que leurs éventuels qualités sanitaires ou organoleptiques n’ont jamais été démontrées.

Jean de Kervasdoué
10 septembre 2021

Article paru dans Le Point

1 Muriel Arnal et al. ; L’adoption de la loi contre la maltraitance animale constituerait un premier pas historique, in Le Monde du jeudi 9 septembre 2021

2 https://www.schippers.fr/porcs/contention-distraction/jouets-pour-porc-8815/

3 https://agriculture.gouv.fr/le-bien-etre-et-la-protection-des-porcs

4 https://www.inrae.fr/actualites/reunion-lancement-projets-du-programme-prioritaire-recherche-cultiver￾proteger-autrement

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