Les comptes de la santé de l’année 2020 viennent d’être publiés (1).
Détaillés, précis, clairs, iIs chiffrent, pondèrent, analysent les dépenses de la très particulière année 2020, mais surtout ils nuancent, voire remettent en cause certaines déclarations gouvernementales.

Leur publication sans écho médiatique donne une nouvelle occasion de constater que les débats politiques qui prennent la quasi-totalité de l’espace et du temps de la presse s’intéressent souvent à « Qui ? » et plus rarement à « Quoi ? ». Certes les questions de personnes sont importantes, voire distrayantes, mais l’utilisation de l’argent des Français – c’est en effet toujours eux qui payent directement ou indirectement (impôts, taxes, cotisations sociales, assurances obligatoires …) – est peu commentée. Pourtant les dépenses courantes de santé au sens international (DCSi) ont représenté 284,5 milliards d’euros en 2020, soit 12,4% du PIB ; autrement dit : les Français ont travaillé en 2020 tous les jours ouvrés du 1er janvier au 15 février pour payer leurs seules dépenses de santé !

Certains éléments des comptes étonnent peu. Il n’est pas surprenant en effet qu’en 2020 augmentent les dépenses hospitalières, celles des laboratoires d’analyse et celles des infirmières à domicile et qu’en revanche les dépenses de médicaments, les consultations de médecine de ville, les transports sanitaires et les biens médicaux baissent du fait de la moindre fréquentation des médecins de ville pendant les périodes de confinement. Tout ceci donne un solde global de 0,4%.

En revanche, alors que les dépenses de soins médicaux augmentent à peine, les dépenses de santé totales augmentent de 4,6%. Outre les mesures spécifiques de l’épidémie (subventions à Santé Publique France pour les tests et les vaccins, indemnisation des professionnels de santé) la cause première provient de la prise en charge des soins de longue durée, ils sont en effet passés à 46, 5 milliards d’euros et ont donc augmenté de 8% en une seule année ! Or les ménages en financent directement 25%. Certes, une « 5 ème branche » de la sécurité sociale consacrée à « l’autonomie » a été créée le 7 août 2020, mais les missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) changent peu, comme ses crédits. La contribution directe des ménages en 2022 restera de l’ordre de 11 milliards d’euros car ce ne sont pas les 400 millions de subventions accordés la semaine passée qui vont changer grand-chose. Soulignons encore que ce poste ne cessera d’augmenter les années à venir, avant de littéralement exploser quand la génération du babyboom (1947-1973) entrera dans les âges de la grande dépendance, c’est-à-dire à la fin de cette décennie.

Plus surprenant est un chiffre modeste dans cet empilement de milliards, mais il est très important dans le débat qui s’ouvre sur l’avenir des assurances complémentaires en santé. En effet, alors qu’un des engagements du candidat Emmanuel Macron était d’offrir aux Français un « reste à charge nul », autrement dit aucun paiement direct de leur poche pour l’optique, les soins dentaires et les audioprothèses, le reste à charge en optique augmente de 4,1% en 2020 et passe de 1,583 milliards en 2019 à 1,727 milliards en 2020, ceci malgré une augmentation des primes des complémentaires santé de 4,3% en 2021 qui suivent une croissance de 4% en 2019 et de 5% en 2020 ; ceci pèse lourdement sur le revenu disponible des familles. N’oublions pas que ce sont les assurances complémentaires qui financent la prétendue gratuité dont l’Etat tente de s’arroger les bénéfices politiques.

Pour expliquer ce paradoxe, résumons ce qui s’est passé. En 2014, le Gouvernement rend obligatoire le paiement par l’employeur d’une assurance complémentaire santé pour leurs salariés, cela ne concerne donc pas les jeunes et les retraités. Ceci a de facto un impact sur ces derniers car la solidarité à l’intérieur d’une profession entre les actifs et les retraités n’opère plus depuis longtemps. Puis, dès son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron s’engage pour que les Français puissent aller chez le dentiste, porter des lunettes ou des audioprothèses sans débourser ; dans le jargon, cela s’est appelé le « reste à charge zéro ». Si pour les prothèses auditives et dentaires cela a une véritable utilité, le reste à charge n’est pas si zéro que cela pour les lunettes. En réalité, il y a un panier A (le « 100% santé ») et un panier B (« tarif libre »). Pour le premier panier, le choix des montures et des verres est limité et les prix plafonnés. Bien entendu, les opticiens attirent les clients par un prix d’appel juste en dessous du plafond. L’argument commercial est merveilleux, nous l’entendons à longueur de publicité : « c’est gratuit, venez, nous ferons tout, y compris les démarches administratives !» Puis, ils vendent des lunettes qui ne sont pas prises en charge dans le 100% santé. Et comme l’Etat a déremboursé l’optique hors 100% pour financer le 100% des prothèses auditives et dentaires, ceci augmente les restes à charge des ménages en optique, ainsi que le coût des complémentaires. De plus, alors que l’Etat et l’assurance maladie financent moins de 4% des dépenses d’optique (2) , le Gouvernement n’a pas voulu laisser jouer les assurances complémentaires qui en financent 69,6% ! Elles étaient cependant disposées à peser sur les fournisseurs en mobilisant leurs centrales d’achat et en offrant à leurs assurés sans augmentation de primes un remboursement à 100%. Cela leur a été refusé et bien entendu les Français payent deux fois cet affichage du « tout Etat » : une fois par les primes et une fois de leur poche car la majorité des Français ont choisi le « tarif libre ». En 2020 le panier « 100% santé » ne représente que 4,5% des soins d’optiques (3), les Français préfèrent être libres et payer. Les opticiens s’en réjouissent et les primes augmentent.

Il va falloir se souvenir de ces faits quand certains politiques, y compris au sein de LREM, lancent l’idée de faire absorber l’activité des assurances complémentaires par l’assurance maladie obligatoire. Il est vrai que cela ferait disparaître les coûts de gestion des mutuelles mais, même si la notion de ticket modérateur disparaissait, ce qui ne serait pas une perte car il n’a jamais rien modéré, qui paiera les suppléments d’honoraires et les chambres particulières ? Pour 1% des malades, soit 600 000 Français par an, cela représenterait une dépense annuelle supérieure à 2 700 € ?

Certes l’augmentation du reste à charge en optique, permet à l’assurance maladie de financer de meilleures prises en charges des prothèses auditives et dentaires, ce qui est indéniablement bénéfique tant la perte d’audition à un impact sanitaire et social, mais laissons la concurrence s’exercer entre assureurs de santé et cessons de les empêcher de jouer leur rôle : celui d’être le dernier filet de prise en charge du risque, après l’assurance maladie. Quant au débat sur l’éventuelle étatisation intégrale du système de soins, sommes-nous prêts à cette nouvelle restriction des libertés ? Ferait-elle disparaître les inégalités d’accès aux soins ? Si l’on en juge par les exemples de nos voisins européens qui disposent d’un tel système (Royaume-Uni, Italie ou Espagne), rien n’est moins certain.

2020 a été une année particulière, 2021 le sera aussi, puis les consommations de soins reprendront leurs cours. Les mesures accordées aux professionnels de santé commenceront alors à faire pleinement sentir leurs effets financiers. Mais jusqu’à quand pourra-t-on avoir des déficits annuels de la sécurité sociale qui avoisinent les 40 milliards d’euros ?

J de Kervasdoué Le 27 septembre 2021

Article paru dans Le Point

1. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/panoramas-de-la-drees/les-depenses-de-sante-en-2020-resultats-des-comptes-de-la-sante

2. En dehors du 100% santé l’assurance maladie ne prend en charge que 3 centimes par verre !

3. les comptes de la santé 2020, page 82.

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