AFP – Article paru dans La Provence le 14/04/24
Le nouveau coup d’accélérateur demandé par Gabriel Attal sur les effectifs d’étudiants en médecine suscite des doutes dans le monde universitaire, qui souligne l’ampleur des moyens à utiliser et le risque d’une sur-réaction face aux besoins actuels
Aiguillonné par les difficultés d’accès aux soins des Français, le Premier ministre a annoncé il y a quelques jours qu’il voulait porter à 16.000 le nombre d’étudiants en deuxième année de médecine en 2027.
Ce nombre a déjà progressé ces dernières années, avec presque 11.000 étudiants de 2e année aujourd’hui (après le difficile concours en fin de première année), contre 8.000 en 2017, notamment grâce à la fin du numerus clausus – le système de plafonnement du nombre d’étudiants – voulue par Emmanuel Macron.
Mais plusieurs syndicats ou responsables universitaires font part de leurs doutes sur la capacité de l’Etat à mobiliser les moyens nécessaires pour franchir ce nouveau palier.
« Nous sommes très méfiants car les capacités de formation sont aujourd’hui limitées« , explique à l’AFP Jérémy Darenne, président de l’Association nationale des étudiants en médecine (Anemf).
« Les universités peinent déjà à absorber les augmentations récentes, donc nous ne voyons pas » comment ces capacités peuvent augmenter aussi fortement « en préservant la qualité de la formation », dit-il.
– Manque d’enseignants –
De fait, la hausse continue du nombre d’étudiants en médecine ces dernières années a poussé les facs près de leurs limites, confirme le Professeur Benoît Veber, président de la Conférence des doyens de médecine.
« L’immense majorité des facs n’est pas loin de leur plafond » de capacités de formation, a-t-il relevé mercredi lors d’une table ronde organisée par l’Ordre des médecins.
Pour aller plus loin que les quelque 12.000 étudiants déjà prévus pour 2025, il va falloir notamment « des créations de postes de professeurs de médecine, maîtres de conférence, chefs de clinique », souligne-t-il.
Or les facultés ont déjà du mal à trouver les enseignants nécessaires dans certaines spécialités, comme la dermatologie, la chirurgie pédiatrique ou l’anatomopathologie, selon lui.
« Il va falloir aussi du personnel administratif, des bibliothèques universitaires et des amphis de taille suffisante », relève-t-il auprès de l’AFP.
« On a déjà un problème aujourd’hui pour trouver des maîtres de stage » pour les futurs généralistes, rappelle Guillaume Bailly, président de l’intersyndicale nationale des internes (Isni). « Vous avez beau ouvrir les vannes sur les étudiants en médecine, si vous n’avez pas les moyens de les former, c’est plutôt délétère. »
– Départs en retraite –
S’ajoute une question: en continuant d’augmenter fortement le nombre de carabins dans les années à venir, ne risque-t-on pas d’aller trop loin face aux futurs besoins du pays ?
En 2037, au moment où les 16.000 étudiants en médecine prévus par Gabriel Attal commenceront à être opérationnels, la situation aura déjà commencé à s’améliorer sur le front de la densité médicale, selon les prévisions de la Drees, la direction statistique du ministère de la Santé.
Ce sera la période lors de laquelle « le nombre de départ en retraite de médecins sera au plus bas« , rappelle également Benoît Veber. Car elle correspondra aux départs des médecins formés pendant les années les plus strictes du numerus clausus – quand 3.000 à 3.500 praticiens étaient formés chaque année.
Par ailleurs, certains facteurs peuvent venir peser à la baisse sur la demande médicale, ou du moins la transformer profondément, ajoute Guillaume Bailly, de l’Isni.
« L’intelligence artificielle va se développer, assister les médecins » et « un essor des autres professionnels de santé » est en train de se produire, comme le montre le développement actuel de l’accès direct aux kinés, sages-femmes, infirmières de pratique avancée et autres paramédicaux, souligne-t-il.
« On manque de travaux prospectifs sur l’évolution des besoins » futurs concernant les médecins, reconnaît Emmanuel Touzé, doyen de la faculté de médecine de Caen et président de l’Observatoire de la démographie des professions de santé (ONDPS).
« On aura sûrement besoin d’une densité médicale plus forte à celle qu’on avait dans le passé, mais il est difficile de savoir à quel niveau« , dit-il à l’AFP. « C’est l’objectif de travaux que nous allons mener dans les prochains mois.«