Article de Solenne Poullennec, paru dans Les Echos, le 18 avril 2024
Le nombre d’établissements accueillant des personnes âgées dépendantes ayant terminé l’année en déficit a atteint un niveau record en 2023, selon la Fédération hospitalière de France. Le gouvernement et l’Etat sont appelés à la rescousse tandis que les résidents et leurs familles pourraient être mis davantage à contribution pour boucler les budgets et garantir de bonnes conditions d’accueil.
Les 100 millions débloqués en urgence par le gouvernement l’an dernier n’ont pas permis aux établissements accueillant des personnes âgées dépendantes de garder la tête hors de l’eau. Près de 85 % des Ehpad publics sondés ont terminé l’année dans le rouge, selon une enquête publiée ce mercredi par la Fédération hospitalière de France (FHF). Un niveau record.
« La situation des Ehpad publics a dépassé le seuil d’alerte », estime Arnaud Robinet, le président de la FHF. « Plus on va réagir tard, plus on prend le risque de mettre nos aînés en danger, avec des problèmes de prise en charge », avertit celui qui est aussi maire de Reims. Et de rappeler que « parfois on peut considérer qu’il y a de la maltraitance qui n’est pas du fait des agents mais qui est dû à un manque de moyens ».
La FHF appelle le gouvernement et les départements à débloquer davantage de moyens » à court terme« . Faute d’investissement suffisant, la France « risque […] de voir disparaitre une partie de l’offre publique d’Ehpad, seule garantie dans bien des territoires d’une solution abordable pour l’ensemble des familles » prévient-elle.
D’ores et déjà, certains établissements se heurtent à des problèmes de trésorerie (environ un Ehpad sondé sur trois), voire reportent à plus tard le paiement de leurs fournisseurs ou de leurs charges sociales et fiscales. Celle-ci a été réalisée auprès de quelque 730 établissements, représentant 33 % du parc et près de 43 % des places ouvertes dans la fonction publique hospitalière.
Les difficultés financières des Ehpad ne sont pas nouvelles et concernent aussi bien les établissements publics que privés. Les poids lourds du secteur Emeis (Ex-Orpéa) et Clariane (Ex-Korian) sont à la peine tandis que le groupe privé Medicharme a été placé en liquidation judiciaire en début d’année.
Depuis la crise du Covid et le scandale Orpéa, les Ehpad font moins le plein de résidents, ce qui pèse sur leurs ressources. Dans le public, le taux d’occupation des établissements s’est redressé l’an dernier, à 94,4 % selon l’enquête de la FHF. Il reste toutefois en deçà de celui enregistré en 2019 (96,7 %). Côté dépenses, les Ehpad disent avoir dû faire face à une flambée de leurs factures. Ils ont dû payer les augmentations de salaires décidées par l’exécutif pour fidéliser les soignants mais insuffisamment financées par l’Etat, selon eux.
Or, les marges de manœuvre des gestionnaires de ces établissements sont réduites pour encaisser ces hausses de coûts. Car les prix qu’ils peuvent facturer aux résidents et à leurs familles pour l’hébergement sont très encadrés par les départements, qui participent au financent de l’accueil des plus démunis.
800 millions de déficit
Résultat : le nombre d’Ehpad publics déficitaires a bondi sur les trois dernières années, passant de 54 % en 2021à 75 % en 2022, puis 85 % en 2023, selon la FHF. En extrapolant les résultats de son enquête, la fédération estime le déficit de l’ensemble de ses Ehpad à « près de 800 millions d’euros » l’an dernier. Signe que le problème ne peut pas être simplement résolu en remplissant davantage les Ehpad : même ceux qui ont un taux d’occupation élevé sont généralement déficitaires, selon l’enquête. D’où un nouvel appel au secours lancé aux pouvoirs publics, déjà confrontés à la situation alarmante des hôpitaux.
Dans le détail, la FHF réclame une augmentation de 5 % des financements accordés par l’Assurance Maladie pour soigner les résidents (forfait soin) – un effort estimé à 650 millions d’euros. Elle demande aussi aux départements d’augmenter de 5 % les prix qui peuvent être facturés aux résidents dans les établissements accueillant des personnes bénéficiant d’une aide sociale pour leur hébergement.
Loi de programmation demandée
De quoi peser sur les finances des départements qui pourvoient cette aide aux plus démunis. Mais aussi sur le budget des résidents moins modestes et de leurs familles qui paient de leur poche l’hébergement. Pour tenter d’aider les Ehpad, les parlementaires ont par ailleurs voté en début d’année une mesure permettant aux établissements publics et associatifs de différencier plus facilement les tarifs selon les ressources des résidents.
Une évolution saluée par les acteurs publics et associatifs. Reste que ceux-ci sont nombreux à demander des transformations plus profondes du système de prise en charge de la dépendance pour faire face au choc du vieillissement de la population. « On n’est pas dans l’objectif de demander chaque année plus d’argent. Nous souhaitons une loi de programmation pour avoir des objectifs sur le moyen et long terme » explique Arnaud Robinet. Après l’avoir promise, le gouvernement l’a mise sous le tapis.
Quand va-t-on enfin discuter d’une loi de programmation sur le vieillissement de la population ?
Alors que de façon certaine les besoins vont repartir à la hausse dans les dix ans qui viennent, des Ehpad ferment ! De fait, l’Etat attend que le privé régule le secteur. On est dans une problématique de rectification de marché ! Alors qu’il faudrait créer des résidences intermédiaires, restructurer les Ehpad, construire de nouveaux modèles de financements tout au long de la vie associant les complémentaires, développer une véritable stratégie de services, créatrice d’emplois, on regarde ailleurs.