Article proposé par l’Observatoire Santé Pro BTP publié le 6 mai 2024 dans Les Echos

Maladies cardiovasculaires, diabète, cancer… en France, 40 % des adultes souffrent d’au moins une pathologie chronique, et la moitié d’entre eux en cumule plusieurs. Cela constitue un défi de prise en charge, à la fois pour le système de santé, les professionnels, et les patients eux-mêmes. Nicolas Castoldi, directeur exécutif de l’initiative ouverte @Hôtel-Dieu et Pr Viet-Thi Tran, médecin et épidémiologiste à l’université Paris Cité et à l’AP-HP, nous expliquent quel rôle la santé numérique et ses outils peuvent jouer dans ce contexte.

Pourquoi la prise en charge des maladies chroniques est-elle complexe ?

Nicolas Castoldi : Ce sont des maladies au long cours, sur lesquelles nous avons besoin de mieux articuler la prise en charge entre l’hôpital et la médecine de ville. Nous devons améliorer le suivi pour mieux prévenir et repérer les dégradations de l’état de santé des patients, afin d’éviter l’aggravation des pathologies et de réduire les hospitalisations.

Viet-Thi Tran : Aujourd’hui, un patient chronique voit son médecin 20 minutes tous les 3 à 6 mois. C’est une consultation prévue longtemps à l’avance, qui ne correspond pas forcément à son besoin réel, et qui pourtant va déterminer son traitement pour des mois. Une fois chez lui, le patient est souvent livré à lui-même, n’ose pas re-consulter et doit piloter sa maladie avec peu d’informations.

En quoi la e-santé peut-elle améliorer ce suivi ?

VTT : Des dispositifs parfois très simples peuvent avoir de grands bénéfices. On le voit par exemple avec des patients atteints d’un cancer et soignés par chimiothérapie, avec souvent de nombreux symptômes et effets secondaires. Au lieu de ne les voir qu’une fois toutes les 3 semaines en consultation, on leur demande de remplir quotidiennement un questionnaire en ligne, sur la base duquel ils sont suivis à distance. Les résultats sont spectaculaires, avec une survie largement améliorée.

Les outils de la e-santé permettent d’améliorer la prise en charge tout en préservant le temps des soignants, qui est précieux. On peut par exemple utiliser une application pour permettre aux patients diabétiques de suivre sur 4 à 6 semaines un programme de thérapie cognitivo-comportementale. Cela donne de très bons résultats en termes d’éducation thérapeutique et de contrôle de la maladie. Sans cette application, ce serait impossible : on ne pourrait pas avoir un professionnel aussi longtemps aux côtés de chaque patient.

Comment faire coexister ces outils avec l’existant ?

NC : Les chercheurs nous invitent à inventer une forme de « blended care », un nouveau modèle de soins qui associe physique et virtuel. L’un des enjeux est d’intégrer les nouvelles solutions aux process de soins des médecins pour ne pas alourdir leur charge de travail, ce qui est un vrai risque. Dans le système actuel, la télésurveillance leur rajoute des alertes à traiter en permanence, alors qu’ils sont déjà saturés.

VTT : Les médecins manquent aussi de temps pour se renseigner et se former, par exemple lorsqu’il s’agit de savoir quelle solution numérique conseiller à leurs patients. Ils n’ont aujourd’hui pas d’outil fiable sur lequel s’appuyer pour vérifier le contenu ou l’efficacité des apps, et se trouvent souvent démunis.

Qu’en est-il du côté des patients ?

VTT : Là aussi, il ne faut pas alourdir le fardeau que constituent déjà les pathologies chroniques. On a calculé qu’un patient qui en cumule 4 ou 5 pourrait y consacrer jusqu’à 35 heures par mois au total. Un dispositif de suivi connecté, par exemple, vient s’ajouter à cela : il faut s’inscrire en ligne, répondre à des questions, vérifier la batterie… C’est pourquoi les traitements médicamenteux sont en moyenne mieux suivis que ceux impliquant un dispositif de e-santé, car un médicament reste simple à prendre.

NC : L’objectif est d’éviter les écueils de la prise en charge classique, où l’on empile parfois les spécialistes et les consultations en silos. Un même patient ne peut pas avoir 12 objets connectés et 28 applications ou plateformes pour être suivi et échanger avec ses médecins. Pour penser les dispositifs, on doit partir du profil des patients, et non de la maladie : quand on sait que 85 % des diabétiques ont d’autres pathologies, penser uniquement diabète n’a pas de sens.

Comment construire ces solutions d’avenir ?

NC : Il faut se mettre dans une démarche d’innovation ouverte – c’est en tout cas ce que nous faisons au sein de l’APHP avec @Hôtel-Dieu. C’est-à-dire réunir toutes les parties, des acteurs de la recherche à ceux du soin, des hospitaliers à la médecine de ville, des start-ups innovantes aux patients eux-mêmes.

Nous sommes également attentifs à ce que les solutions que nous imaginons puissent faire remonter leurs données aux différentes plateformes de suivi, à ce que l’interopérabilité soit garantie par rapport à nos différents hôpitaux et à l’accès aux dossiers médicaux, ou encore à ce que les stratégies de télésurveillance des applications soient cohérentes entre elles.

Même si, comme pour un médicament, le temps de maturation de ces solutions est long, ce n’est pas de la science-fiction. Nous avons déjà en France plusieurs applications de télésurveillance qui fonctionnent… et qui sont remboursées par l’Assurance Maladie.

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