Article de Jean de Kervasdoué publié le 29 octobre 2024 dans le Point
Une telle réforme, en cinq points essentiels, devra s’appuyer sur l’existence de bases de données et la puissance des nouveaux outils d’analyse. Explications.
Si, en France, l’argent ne compte pas ou peu dans l’accès aux soins, des barrières non financières se sont progressivement dressées rendant difficile, voire impossible, l’accès de nos concitoyens à des soins de qualité. Ainsi, il n’est plus rare de voir arriver aux urgences des malades atteints de cancers qui, jusque-là, n’avaient été ni diagnostiqués ni donc soignés. Leur maladie évoluait sans soin depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. De même, des patients de plus en plus nombreux n’ont pas de médecins traitants alors qu’ils sont atteints d’une maladie chronique et sont en « affection de longue durée » (ALD), pour reprendre ici les termes de l’assurance maladie. Ils étaient 510 000 en 2018, ils sont plus de 800 000 fin 2023 !
Chaque jour les élus se battent pour assurer une certaine permanence des soins dans leur territoire et pour éviter que leurs administrés attendent des mois avant d’obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, sans grand succès. Moins connu du public, mais pas de la presse, et notamment du Point, est le fait que les services hospitaliers ne se valent pas tous, certains sont même dangereux et devraient être immédiatement fermés. Si l’on ajoute à cela que le déficit de l’assurance maladie approchera les 20 milliards d’euros à la fin de l’année et que le seul moyen trouvé pour équilibrer ses comptes est de transférer des dépenses des régimes obligatoires aux assurances complémentaires santé, politique d’affichage qui ne règle rien, le tableau est complet.
La crise est profonde, elle perdure car l’on s’entête à croire aux remèdes magiques comme la prévention ou à penser que quelques expériences éphémères pourraient résoudre des questions structurelles qui engendrent l’inefficacité et l’iniquité du système. Pourtant, avec l’apparition de l’intelligence artificielle et des techniques de traitement massif de données, la situation a changé et des nouvelles voies se sont ouvertes. Il faut donc réformer, mais qui peut réformer ? Formellement, bien entendu, un jour, le Parlement sur proposition du Gouvernement. En réalité, dans le secteur de la santé et de l’assurance maladie, les grandes réformes se sont faites le plus souvent par ordonnance. Nous n’en sommes pas encore là car une éventuelle future réforme n’existe pas. En comparaison, la réforme des retraites est un sujet intellectuellement simple, même s’il est à l’évidence politiquement compliqué ; en effet, une réforme de la santé, elle, ne peut pas se résumer à quelques paramètres comme l’âge de la retraite ou le nombre d’années de cotisations. Qui peut donc en concevoir les grandes lignes ?
En la matière l’administration qui, depuis des lustres, bureaucratise, rigidifie, complexifie le moindre des problèmes en ignorant superbement les évolutions de la médecine mondiale et les expériences étrangères, a plus montré son incapacité que son imagination. Blaise Pascal, dans le fragment 743 des Pensées, explique pourquoi. « Dire la vérité est utile à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr or ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu’ils servent, et ainsi ils n’ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes ». Pourquoi prendre un risque quand on a une carrière toute tracée ? Qui condamnera un fonctionnaire pour non proposition de réforme ?
Un jour, un Gouvernement devra réformer. L’histoire montre qu’elle voit le jour elle aura été préparée en dehors des partis politiques car, depuis des décennies, ils n’évoquent dans leurs programmes que les questions de remboursement des soins ou celle de la liberté d’installation des médecins. Les idées viendront de l’extérieur.
Il en fut ainsi de la réforme qui, en 1958, créa les CHU et le temps plein à l’hôpital public. L’histoire a retenu le nom du professeur Robert Debré, père du Premier Ministre de l’époque, ce qui n’a pas nui à la publication des ordonnances. Il a certes joué un rôle majeur, mais on oublie qu’elle fut préparée par Jean Dausset en 1956. Avant d’être un grand immunologue, avant de recevoir le prix Nobel de médecine, il avait été un résistant courageux et était à l’époque jeune conseiller au cabinet de Pierre Mendès-France. A ce titre, il avait organisé un colloque à Caen d’où est sorti l’essentiel de la réforme dite « Debré ». Il a fallu attendre deux ans pour qu’elle passe, mais elle était prête. A quelques-uns, quarante années plus tard, en 1996[1], nous avons tenté le même exercice, dans un colloque, toujours tenu à Caen, mais qui n’a pas eu le même succès même si ces travaux ne furent pas sans influence sur les ordonnances « Juppé » de 1996. On doit donc, une fois encore, tenter d’esquisser à grand traits les lignes d’une réforme de 2025.
Ses principes sont simples à énoncer : permettre aux Français de bénéficier des soins que leur état exige, compte tenu de ce que la médecine du moment est capable de leur offrir et des moyens que la collectivité est disposée à consacrer à ce domaine. Elle n’est donc pas intemporelle, tant d’un point de vue technique qu’économique. Elle doit se placer dans la mondialisation des savoirs et des techniques médicales et des extraordinaires potentiels de l’intelligence artificielle en ayant conscience que les ressources ne sont jamais infinies.
Si on peut s’appuyer sur des institutions existantes et notamment la Haute Autorité de Santé (HAS) qui d’ores et déjà définit les soins que les Français devraient recevoir pour telle ou telle maladie, il faut à l’évidence savoir s’ils les reçoivent et, si ce n’est pas le cas ce qui arrive trop souvent, se demander pourquoi afin d’améliorer la qualité de la prise en charge. Cela n’est pratiquement possible qu’à la condition que l’on utilise systématiquement les deux grandes bases de données d’ores et déjà disponibles en France : celle qui enregistre toutes les hospitalisations et celle qui collecte tous les remboursements de l’assurance maladie. Pour faire bonne mesure, on peut aussi ajouter une vingtaine d’autres bases de données souvent plus détaillées mais ne couvrant qu’une partie de la population. Le cœur de la réforme concerne donc la coordination effective de la prise en charge des patients par des professionnels et des institutions de qualité.
La première mesure consiste donc à ouvrir ces bases de données à tous les acteurs, y compris dans certaines conditions aux industriels. Il faut comprendre que c’est une condition absolument nécessaire pour connaitre la réalité des pratiques médicales et, le cas échéant, les corriger. Aujourd’hui, les restrictions successives imposées par la CNIL sont un frein majeur à l’amélioration de la qualité des soins en France.
La seconde est d’établir la liste précise des services hospitaliers qui ne peuvent plus donner des soins de qualité faute de matériels et d’équipes qualifiés. Il faut alors programmer leur fermeture sur une durée de trois à cinq ans et étudier, avec les associations de malades, comment la population peut toujours avoir accès à une expertise médicale spécialisée. Ceci implique une forte décentralisation dans la mise en œuvre.
La troisième s’adresse à la coordination de la prise en charge. Du fait de la prévalence croissante des maladies chroniques, conséquence du vieillissement de la population, les soins médicaux doivent être suivis et coordonnés. Quand la liste des médicaments s’allonge, les maladies iatrogènes se multiplient et il faut absolument un guide, un chef d’orchestre pour conseiller, accompagner, évaluer et adapter les thérapeutiques. Le généraliste payé 30 € l’acte, fut-il « médecin traitant », ne peut pas jouer ce rôle. Il faut à la fois concevoir d’autres modalités de paiement de chaque professionnel de santé et trouver un modèle économique stable qui lui permette d’exercer ses responsabilités en équipe avec ses confrères et les autres professions de santé. Autrement dit, il faut inventer des modalités pour que fonctionnent les « maisons médicales » regroupant généralistes, infirmières de pratiques avancées, infirmières, kinésithérapeutes … dans un cadre où l’on peut faire de l’imagerie et réaliser des tests de biologie.
La quatrième est celle des instances régionales de l’état. Elles doivent pouvoir, grâce aux bases de données, analyser en permanence les soins prodigués dans chaque territoire de leur région et proposer les adaptations qui s’imposent. Autrement dit : au lieu d’administrer, les services de l’état doivent rechercher comment localement améliorer la prise en charge – le jargon parle de « parcours de soins » – des cancers, des maladies cardiaques, des troubles psychiatriques, du diabète, des maladies infectieuses, de l’insuffisance rénale chronique, de l’asthme… et, pour cela, passer des contrats avec ses partenaires libéraux et hospitaliers.
Si l’Etat définit les objectifs, il ne gère donc plus, il libère l’hôpital public de ses carcans statutaires. Autrement dit, à l’instar des centres de lutte contre le cancer qui associent propriété publique et gestion privée, il faut faire passer le personnel hospitalier des statuts rigides de la fonction publique (titre IV) à une convention collective et que toutes les nominations soient locales, y compris celle des médecins. Simultanément, chaque hôpital doit devenir maitre de son organisation interne et c’est la cinquième réforme.
Reste à analyser le degré d’implication des collectivités locales qu’il s’agisse des régions, des départements ou des communes. Des pays comme le Danemark ont réussi de telles réformes en transmettant la tutelle hospitalière à la région et celle de la médecine de ville aux communes. Il faut y réfléchir en rappelant que certaines régions sont trop étendues et les communes françaises trop nombreuses et, le plus souvent, trop petites. Il faut donc trouver un échelon intermédiaire qui ne sera pas d’ailleurs nécessairement le même d’un territoire à l’autre.
L’existence de données et la puissance des outils d’analyse changent tout et que l’on ne vienne pas raconter que leur utilisation serait une entrave au secret médical, alors que Google sait qui l’interroge pour en savoir plus sur telle ou telle maladie ou comprendre tel ou tel traitement. Nul doute que cet argument sera néanmoins utilisé pour une raison simple : personne n’aime être évalué, fut-ce pour le bien des patients.
[1] François Grémy éditeur, La réforme Debré, un tiers de siècle après, actes du colloque de Caen, 9-10 décembre 1996. Presse de l’école des hautes études en santé publique. |
Alors que le déficit de la sécu avoisinera les 20Mds d’euros, la seule solution trouvée consiste à transférer le financement sur les ménages au travers de leur cotisation à leur complémentaire.
Nous en sommes revenus aux bonnes vielles recettes de la droite. Plus de faux semblant : on augmente franco le ticket modérateur. Plus besoin de donner l’illusion d’une amélioration des prestations comme dans le 100% santé.
Reculer pour mieux sauter, et la taxation des jeux en ligne ne changera pas grand chose.
Une réforme radicale du système de santé est incontournable.
Jean de Kervasdoué a le mérite de faire des propositions, à discuter, mais il va falloir y aller.
Dans ce contexte politique, qui va avoir le courage ? Pas gagné !