Par Serge Guerin (sociologue, professeur à l’Inseec), Loïc Josseran (doyen de l’UFR Simone Veil–Santé à l’Université Versailles Saint Quentin-Université Paris Saclay). Publié par Les Echos le 24 avril 2024
En France, le nombre de médecins pour 100.000 habitants a déjà quasiment triplé en soixante ans. Pour Serge Guérin et Loïc Josseran, la lutte contre les déserts médicaux passe avant tout par une meilleure prise en compte des attentes et des modes de vie des jeunes professionnels de santé.
Pour pallier le manque de médecins et faire face à la multiplication des déserts médicaux, le gouvernement a annoncé en 2020 la fin du numerus clausus et l’élargissement des modes de recrutement des étudiants en santé. Cette réforme a ouvert la porte à la surenchère, poussant le Premier ministre à annoncer 17.000 étudiants en deuxième année prochainement, contre à peine 12.000 aujourd’hui et 3.500 en 1993. Cette approche comptable fait l’impasse sur les mutations des comportements des soignants comme des patients.
Ce n’est ainsi pas tant le nombre de soignants qu’il faudrait évoquer que le temps de soin. En 1968, le taux de médecins pour 100.000 habitants était de 119, contre 318 en 2020. Certes, la population est plus fragile et plus âgée qu’en 1968, mais tout de même… Il faut 2,88 nouveaux médecins pour remplacer un praticien « à l’ancienne » partant à la retraite ! Le soin, c’est aussi de l’écoute. Or les anciens prenaient bien plus de temps à dialoguer avec les malades qu’aujourd’hui. Le médecin de famille pratiquait le « care » sans le savoir.
Les jeunes soignants aspirent avant tout à une plus grande qualité de vie. Le temps du médecin de famille corvéable 24h/24 et se déplaçant à domicile de jour comme de nuit n’est plus. Cette évolution sociologique profonde gomme toutes les augmentations du numérus clausus imaginées. S’ajoute l’hétérogénéité de la répartition géographique des professionnels marquée par des logiques urbaines et l’héliotropisme. il faut cesser de les rêver comme des sacrifiés volontaires au seul service des patients.
De plus, l’exercice partagé ou un modèle inspiré du salariat deviennent la norme d’installation plébiscitée par les médecins, infirmiers et autres professions paramédicales ou d’accompagnement des plus fragiles. Une approche qui peut faire levier pour un exercice plus transversal.
Au lieu de multiplier les primes à l’installation, il serait opportun de favoriser la découverte des territoires.
Aujourd’hui, les soins intègrent le confort. Les patients consomment un « droit d’accès au médecin« , multipliant les visites d’autant que le tiers payant généralisé a fait disparaître toute notion de prix. Une mentalité de libre-service s’est développée. Ces transformations sociologiques ont des effets majeurs sur la chaîne du prendre soin, la disponibilité et l’implication des acteurs, le sens des métiers du cure et du care, le coût de la santé…
Ouvrir les vannes du numérus clausus rassure la société française. Mais les étudiants qui entrent actuellement en deuxième années ne seront pas installés avant dix ou quinze ans ! Au lieu de multiplier les primes et cadeaux pour favoriser l’installation des soignants, il serait plus opportun de favoriser, à partir des UFR Santé, la découverte des territoires, permettre l’accès aux études des jeunes originaires des zones sous-denses, comprendre que les jeunes docteurs d’aujourd’hui sont avant tout de jeunes docteures dont l’installation participe au projet de couple, favoriser l’exercice collectif de la médecine et du soin au sens large ainsi que le développement des centres ou des maisons de santé, penser la télémédecine dans une logique de complémentarité locale, valoriser la prévention, prendre en compte le nouveau rapport au temps de l’ensemble des soignants…
Plutôt que l’obligation d’installation dans les déserts médicaux, investissons dans la mise en œuvre de stratégies où les établissements se pensent en plateformes ouvertes vers les habitants. Plutôt que de recruter dans les pays étrangers, innovons en termes de management, de délégation de compétences et de formation, d’implication des acteurs locaux… Plutôt que de courir après les soignants, privilégions la prévention à tous les âges de la vie. Prenons en compte les évolutions des modes de vie des praticiens et expliquons que la santé a un prix. L’imagination, c’est bon pour la santé !
Tout est dit ou presque ! Il manque selon moi la réorganisation des métiers de la santé avec la délégation de certaines tâches aux paramédicaux qu’il faudrait valoriser.
Mais tout est dit, les réformes bureaucratiques sont de la poudre aux yeux qui ne sont faites que pour des effets d’annonce visant à rassurer à bon compte. Nos concitoyens méritent mieux, alors qu’ils contribuent de plus en plus au financement du système de santé.