Article publié dans Le Monde, le 27/02/2024
La banqueroute de l’entreprise privée, une première pour le secteur, illustre la gravité de la crise économique qui le frappe.
La faillite était un secret bien gardé. Seule une annonce dans Les Echos du 24 novembre informait les lecteurs attentifs de la « recherche de candidats pour reprise du contrôle d’une holding de tête, soit des titres, soit des actifs », sans mention du nom de Medicharme. Elle sera officielle jeudi 29 février. Jour où le tribunal de commerce de Nanterre devrait placer le groupe privé d’établissements pour personnes âgées et handicapées en liquidation judiciaire. Ses 43 établissements, dont 34 Ehpad, vont devoir trouver repreneur sous peine de fermer leurs portes. La banqueroute de Medicharme est une première en France. Elle illustre la gravité de la crise économique qui frappe le secteur.
Neuvième acteur du secteur privé lucratif, Medicharme gère 2 011 lits répartis dans six régions et emploie 1 230 salariés. Au terme de la procédure de vente, dite « prepack-cession », le mandataire judiciaire désigné par le tribunal, Marc Sénéchal, a trois semaines pour remettre les offres aux magistrats.
Fin mars, le tribunal devrait rendre publics les noms des repreneurs retenus. Les acquéreurs n’auront ni à éponger les dettes de l’entreprise – qui s’élèvent à 150 millions d’euros –, ni à supporter le coût d’éventuels licenciements. Les établissements sont mis en vente pour un euro. « Notre objectif est de sauver le maximum d’établissements, confie au Monde Delphine Mainguy, présidente de Medicharme. Si quelques-uns n’ont pas de repreneur, nous organiserons le transfert des résidents pour préserver leur prise en charge en lien avec les agences régionales de santé (ARS). » Les salariés « continueront à être payés et seront accompagnés dans leurs démarches, poursuit Mme Manguy. Une cellule psychologique sera mise en place ».
Modèle économique atypique
Créé en 2015, le groupe a été conçu à une époque où le secteur en plein essor attirait les investisseurs. Son modèle économique n’a pas résisté au repli brutal de l’activité des Ehpad. Mise au point par le fondateur, Patrick Boulard, la mécanique était pourtant bien huilée. Medicharme s’est développé grâce à l’achat d’Ehpad, revendus chambre par chambre à des investisseurs institutionnels ou à des particuliers en quête de placements défiscalisés. Chaque Ehpad de Medicharme verse des loyers à ses bailleurs. Les établissements sont aujourd’hui détenus par quelque 1 100 propriétaires.
La vente des chambres permet de rembourser les dettes contractées pour acheter des Ehpad. Et dégage une plus-value. Mais la martingale immobilière suppose que la charge des loyers n’absorbe pas plus de la moitié des bénéfices.
Or, sous l’effet de la sous-occupation des lits, la marge de Medicharme a fortement baissé. Avec la pandémie de Covid-19, puis le scandale Orpea provoqué par le livre Les Fossoyeurs, de Victor Castanet (Fayard, 2022), le taux d’occupation est passé de 95 % à 89 %, un niveau historiquement bas. Cette désaffection a réduit les recettes, d’autant qu’elle a dissuadé le groupe d’augmenter les prix de journée, pour ne pas risquer de faire baisser encore la fréquentation. Les charges fixes (énergie, repas, salaires) ont, elles, crû fortement sous l’effet de l’inflation et du recours onéreux à l’intérim pour pallier la pénurie de personnels. Si bien qu’en trois ans, l’or gris de Medicharme s’est transformé en plomb.
« La marge actuelle du groupe me permet tout juste de verser les loyers. Je n’ai plus les moyens de payer ni les frais de siège, ni la dette, ni les amortissements », explique Mme Mainguy. Les quelque 1 100 propriétaires ont été prévenus par le groupe : le rachat programmé des Ehpad s’accompagnera d’une baisse des loyers au minimum de 20 %.
En 2018, le fonds d’investissement britannique G Square Capital est devenu le principal actionnaire de Medicharme. Patrick Boulard escomptait un apport de fonds pour de nouvelles acquisitions immobilières. Mais le nouvel actionnaire a exigé des résultats financiers. Au poids des loyers s’est ajoutée la quête de rentabilité. La tentation était forte de faire des économies sur la prise en charge des résidents.
Le groupe s’est alors trouvé dans le viseur des agences régionales de santé, à qui le gouvernement a demandé de renforcer les contrôles des Ehpad en réaction à l’affaire Orpea. Premier coup de semonce en février 2022 : l’ARS d’Ile-de-France fait fermer l’Ehpad de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) pour « défaut d’encadrement des personnels, en nombre insuffisant et non qualifiés ». En mars 2022, l’ARS du Lot-et-Garonne constate la dénutrition de nombreux résidents, la distribution des médicaments par des personnels non formés dans l’Ehpad de Villeneuve-sur-Lot. Le site échappe de peu à une « mise sous administration provisoire » par la tutelle.
En janvier 2022, Delphine Mainguy, l’actuelle présidente, intègre Medicharme en qualité de directrice générale. « J’ai trouvé un groupe dans une situation critique, raconte-t-elle. J’ai demandé qu’on arrête le développement immobilier et la course aux lits pour que l’on place le résident au cœur de notre métier. J’ai recruté pour pourvoir les postes vacants. »
Son veto à l’achat de nouveaux Ehpad porte un coup d’arrêt à la stratégie de Patrick Boulard. Un différend éclate alors sur la stratégie entre l’actionnaire G Square Capital et le patron du groupe. S’ensuit la « révocation » de M. Boulard par l’actionnaire en septembre 2022, et « ma nomination à la présidence », relate MmeMainguy.
Le gouvernement mobilisé
Medicharme est alors en quasi-cessation de paiement. En novembre 2022, une première procédure de conciliation est ouverte devant le tribunal de Nanterre. Elle se conclut par un protocole en avril 2023, au terme duquel BlackRock consent un prêt de plus de 20 millions d’euros : le géant nord-américain de la gestion d’actifs est depuis lors le premier créancier de Medicharme. Mais l’effort financier considérable n’a pas suffi à sortir le groupe de la nasse. En novembre 2023, Mme Mainguy a pris l’initiative d’une nouvelle procédure de conciliation avec pour objectif de vendre les sites « à des opérateurs qui partagent les valeurs du métier, qu’ils soient publics, privés ou associatifs », dit-elle.
Depuis plusieurs mois, le dossier Medicharme alimente la campagne contre la « marchandisation » des Ehpad que mène la CGT. Dans sa croisade, le syndicat a reçu le soutien – surprenant – de Patrick Boulard. L’ancien patron du groupe a participé à plusieurs débats aux côtés des dirigeants de la centrale. « Dans le monde des Ehpad privés, aujourd’hui, les trésoreries filent à vitesse grand V, il n’y a plus d’acheteurs, les taux d’occupation baissent. Medicharme, c’est le plus mauvais élève de la classe, mais c’est aussi le premier d’une longue liste. Le modèle s’écroule », alertait-il le 26 octobre à la tribune, au siège de la CGT.
Le dossier Medicharme mobilise aussi le gouvernement. La première conciliation du printemps 2023 a été menée sous l’égide du comité interministériel de restructuration industrielle. Bercy a du reste appuyé le recours financier à BlackRock.
Cet été, le gouvernement a confié une mission de contrôle de Medicharme à l’inspection générale des finances et à celle des affaires sociales. Leur rapport conclut à « une très grosse amélioration du fonctionnement interne du groupe depuis le changement de direction », glisse-t-on au ministère de la santé. Un constat propre à rassurer des repreneurs. Le gouvernement veut à tout prix éviter que les établissements Medicharme ne mettent la clé sous la porte. « L’Etat a besoin que des fonds privés investissent dans les Ehpad », remarque Mme Mainguy. D’autant que les opérateurs publics et associatifs sont nombreux à être dans le rouge.