Article de Camille Wong paru dans Les Echos, le 29 novembre 2023

Les logiciels de mise en conformité extra-financière se multiplient dans la French Tech. Le secteur se développe dans un contexte où la réglementation est motrice de changement pour les entreprises et les financiers.

Dès 2024, ce sont environ 50.000 entreprises européennes qui devraient être concernées par la future directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui révolutionne le reporting extra-financier. Un marché paneuropéen qui inclut à la fois les entreprises mais aussi les financiers, soumis, eux, au règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation). De quoi susciter l’appétit des start-up, qui se ruent vers le secteur, avec leurs spécificités : collecte et/ou analyse de données (climat, biodiversité, égalité femme homme, risques…), différentes cibles (grands groupes, PME, gestionnaires de fonds…).

C’est le cas par exemple de Weefin, une jeune pousse fondée par des anciens de la banque et de la finance, qui vient de lever 7 millions d’euros avec Iris et Ring Capital. « L’ESG n’a aucun intérêt si c’est seulement pour cocher des cases. Elle doit être utile en permettant de transformer l’entreprise et d’améliorer les pratiques », avance Grégoire Hug, qui a fondé Weefin en 2018. Son angle ? S’attaquer aux institutions financières (banques, assurances, fonds…) qui agrègent un volume considérable et hétérogène de données.

« C’est un Far West »

« Le timing est bon, et le choix vertical. Les logiciels très horizontaux ont plus difficilement une croissance rapide, avec une course aux moyens, une concurrence rude et des prix tirés vers le bas », estime Gil Doukhan, associé chez Iris. Et il y a de quoi : Blackrock ou Bloomberg pour la finance, les cabinets de conseil traditionnels, les gros acteurs de la tech comme Tennaxia (racheté par Marlin Equity Partners), les start-up récentes (Greenscope, Apiday, Fingreen AI, Sustainsoft…) mais aussi des plus matures comme Sweep, financée à hauteur de 100 millions de dollars, qui a lancé il y a quelques mois un module spécial CSRD. « C’est un Far West. En plus de la France, vous avez des solutions au Royaume-Uni, en Allemagne, en Belgique… Les grands groupes du secteur s’y mettent aussi. C’est vraiment la guerre, et cela va être un bain de sang », prédit Yannick Grandjean, fondateur de Sisra (qui édite reporting 21), société de conseil et logiciel dans le secteur revendue l’année dernière à Cority (logiciel).

« Le marché a explosé ces deux dernières années, mais ce ne sera pas ‘winner takes all’ [le gagnant remporte tout, NDLR]. Il y a trop de cas d’usage, le sujet va beaucoup se verticaliser », estime de son côté Louis Frank, le fondateur de Fingreen AI. Un phénomène en miroir de leurs cousins, les logiciels de comptabilité carbone à destination des entreprises qui se verticalisent de plus en plus (mode, alimentaire, construction…). Fingreen AI, elle, cible les acteurs financiers privés (capital-risque, private equity, family offices) en intégrant l’ESG dans les décisions et le suivi de leurs investissements.

« La technologie est, par exemple, utile pour les grandes entreprises et les fonds qui ont des dizaines ou des centaines de lignes d’investissement. Il faut créer l’information et la consolider. Mais pour réussir cela, il faut être mature et j’ai du mal à imaginer cette maturité pour des start-up qui ont un an d’existence », tacle de son côté Yannick Grandjean. Plutôt que de confronter les cabinets de conseils, certains acteurs comme SustainSoft décident de travailler avec eux. « Nous développons l’outil, mais la partie conseil est assurée par nos partenaires », glisse Jules Pigassou, le cofondateur de la société, qui est notamment accompagné par DS Avocats. L’entrepreneur vient de lancer un simulateur destiné à savoir si une société va être éligible à la CSRD. « C’est un texte très nouveau et difficile à comprendre. Ensuite, beaucoup d’entreprises découvrent qu’elles sont soumises à la réglementation », poursuit le patron, qui cible les PME et les ETI. La directive européenne CSRD va être applicable pour les grandes entreprises dès 2024. Le seuil va ensuite être abaissé l’année suivante aux entreprises européennes qui remplissent deux critères : 250 salariés, 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ou 20 millions d’euros au total de bilan. Ce sera ensuite au tour des PME cotées en Bourse. Les sociétés non éligibles mais qui sont prestataires de services ou fournisseurs auprès de grands comptes (eux-mêmes soumis au reporting extra-financier) seront aussi, par extension, évaluées sur des critères extra-financiers. « Celles pour qui les enjeux de durabilité ne font pas partie des priorités prennent vraiment le risque que, demain, elles ne puissent plus répondre à des appels d’offres », avait alerté dans « Les Echos » Marianne Tordeux Bitker, directrice des affaires publiques de France Digitale, le lobby des start-up.

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