par Solenn Poullennec – Article publié dans Les Echos, le 25 septembre 2023

Le gouvernement mise sur le développement de ces regroupements de professionnels de santé libéraux. Les collectivités n’ont pas attendu pour accompagner les maisons de santé pluriprofessionnelles.

Quand les déserts médicaux s’étendent, les maisons de santé fleurissent. Confrontés au manque de médecins sur le territoire, le gouvernement et les collectivités locales misent sur les structures regroupant sous un même toit des généralistes et des spécialistes, mais aussi des infirmiers, kinés et autres paramédicaux en libéral. L’exécutif a dévoilé cet été un plan visant 4.000 structures de ce type en 2027. Soit la création de 450 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) par an d’ici la fin du quinquennat.

Depuis leur introduction en 2007, 2.251 MSP ont ouvert leurs portes, selon les chiffres publiés à la fin de 2022. Le mouvement s’est accéléré ces dernières années (il y en avait un millier en 2017). Aujourd’hui, 32.000 professionnels y travaillent et 8,9 millions de patients y ont leur médecin traitant. « Un médecin exerçant en maison de santé pluriprofessionnelle voit plus de patients qu’un médecin en exercice isolé »,argue l’exécutif. Les collectivités, elles, y voient un outil pour attirer les médecins et paramédicaux.

Ce n’est pas « suffisant » en soi, mais « sans maison de santé, il est très difficile d’accueillir des professionnels de santé », estime Raphaël Daubet, président de la communauté de communes Cauvaldor, dans le Lot, qui compte cinq maisons de santé sur son territoire et deux en projet. « L’idée, c’est d’ancrer sur le territoire les médecins », abonde Patricia Murail-Gentreau, conseillère municipale à La Roche-sur-Yon (Vendée). La commune compte deux MSP et accompagne l’implantation d’une troisième qui devrait ouvrir en 2025.

Rentrer dans les frais

Les collectivités locales se démènent pour accompagner ces structures. Même si les MSP abritent des professionnels exerçant en libéral, elles sont souvent à la manoeuvre pour lancer des projets dont le coût dépasse généralement le million d’euros. Aidées par l’Europe, l’Etat et la région, des communes ou intercommunalités financent l’achat du terrain et la construction du bâtiment. Elles cherchent ensuite à rentrer dans leurs frais grâce aux loyers versés par les professionnels de santé. « Ce sont rarement des projets bénéficiaires », assure Séverine Léonardon, directrice santé à la mairie de La Roche-sur-Yon.

D’autres maisons de santé se montent d’abord avec des capitaux privés, notamment grâce aux investissements des médecins, même s’il peut y avoir des financements publics complémentaires. C’est le cas de la maison qui a ouvert cette année à Sens, dans l’Yonne. « Ce qui est intéressant, c’est que c’est un modèle purement privé. Cela ne nous fait pas de frais supplémentaires », explique le maire, Paul-Antoine de Carville. L’accompagnement de la commune a principalement consisté à vendre un parking qui lui appartenait.

Près de neuf mois après son ouverture, « la maison de santé est pleine », se félicite Luc Burski, à l’origine du projet regroupant aujourd’hui 35 professionnels. Elle va même ouvrir une « maison de santé bis »dans une commune voisine. « En tant que professionnel, je vois beaucoup d’avantages à travailler en groupe. Par exemple, on est moins à la merci d’un dérapage d’un patient, il y a du monde autour », se félicite-t-il.

Les professionnels en maison de santé se disent surtout satisfaits de pouvoir compter les uns sur les autres, pour échanger sur les soins, assurer l’accueil des patients sur de grandes journées, partager les astreintes. « La couverture horaire est plus large et les compétences aussi. C’est plus simple, si on a un souci, de taper à la porte du voisin », résume Maxence Bouvier, un généraliste exerçant dans une maison à Saint-Pourçain-sur-Sioule, dans l’Allier.

Optimiser les compétences

« Tout va beaucoup plus vite au profit des patients », souligne aussi Paula Duarte, une infirmière exerçant à Claye-Souilly, en Seine-et-Marne. Ils peuvent être pris en charge au même endroit par plusieurs professionnels qui se connaissent et partagent leurs outils informatiques. Dotées d’« un projet de santé » validé par l’Agence régionale de santé, les MSP sont aussi vues comme des tremplins pour mener des opérations de dépistage du diabète ou de sensibilisation sur des cancers.

Tout n’est pas simple pour autant. Le succès de ces initiatives suppose un engagement important des équipes. « Ce qui est difficile au sein d’une maison de santé, c’est de mobiliser. Par exemple, pour mettre en place des protocoles des soins », explique Sophie Guallar, une infirmière exerçant à Rodez (Aveyron), inquiète des lourdeurs administratives. Les maisons de santé peuvent s’appuyer sur un « coordinateur », mais à côté des problèmes d’organisation, il y a celui des charges. Les MSP peuvent avoir des locaux spacieux avec salles réunion, cuisines et ascenseur. Même partagée, l’addition de l’entretien, du chauffage, de la climatisation, etc. peut être salée, surtout en période d’inflation. « Au niveau des charges, ça a fortement augmenté. Il aurait peut-être fallu qu’on soit accompagné dans l’agencement de la maison. Peut-être qu’on n’aurait pas choisi d’avoir une salle d’attente, alors qu’on a des couloirs immenses… », lâche Sophie Guallar. L’envolée des factures risque même, à ses yeux, de dissuader des professionnels de rejoindre la structure : « Les MSP ont poussé comme des champignons, mais là, je ne sais pas si cela va continuer… »

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